Les Puritains embrasent l’Opéra de Marseille
Après la reprise en début de saison de la production des Puritains à l’Opéra Bastille dans la mise de Laurent Pelly, l’Opéra de Marseille se lance dans l’aventure en réunissant pour une
version de concert un plateau musical et vocal extrêmement séduisant
et brillant. Dans le rôle
d’Elvira, Jessica Pratt parvient
encore à étoffer les contours de ce rôle qui ne se limite certes
pas à de simples démonstrations pyrotechniques éclatantes. Elle
possède pleinement les outils techniques indispensables et comble
d’aise par la virtuosité et l’agilité dont elle fait preuve :
vocalises aériennes, trilles, variations de grande allure, notes
piquées, sauts d’octaves ou mezza voce totalement maîtrisés. Le
bas médium pourrait être certes plus épanoui, mais la ligne de
chant s’impose par sa distinction et son expressivité. S’éloignant
de son pupitre et de la partition, elle chante avec toute son âme et
dans un sourire presque permanent, même durant les moments où la
folie la gagne.
À ses côtés, le ténor chinois Yijie Shi incarne le fort périlleux rôle d’Arturo. Déjà entendu à Marseille dans Tancredi en 2017, il soulève l’enthousiasme notamment lors de son air du premier acte, A te o cara, exemple de cantabile et d’engagement expressif. Formé à l’école de Rossini et de Pesaro, sa voix puissante mais entièrement contrôlée et d’une fermeté sans réserve, surprend par sa facilité et son homogénéité. Comme sa partenaire, il fait preuve d’un acquis total dans l’art du bel canto italien, avec des aigus et surtout des suraigus impeccablement placés et projetés. Toute l’émotion passe, non par son attitude un peu réservée en scène, mais par sa voix qui semble comme une caresse dans les duos avec Elvira.
S’il confère au personnage de Riccardo une présence autoritaire et imposante, Jean-François Lapointe n’apparaît pas au mieux de sa forme en cet après-midi avec un chant certes fougueux, mais un peu heurté et poussé à ses limites dans ce répertoire. Sa cavatine du premier acte notamment Ah, per sempre io ti perdei manque de moelleux et de diversité dans les couleurs, tandis que dans la cabalette guerrière avec Giorgio, rôle interprété par Nicolas Courjal, Suoni la tromba, il peine un peu à suivre un partenaire en très grande forme. Nicolas Courjal justement laisse se déployer toute sa valeureuse voix de basse aux aigus percutants. Le long duo Elvira/Giorgio du premier acte, O amato zio, o mio secondo padre constitue un des moments phares de la soirée tant l’entente s’avère aboutie entre les deux interprètes, ce à tous les niveaux.
Pour sa part, Julie Pasturaud campe une Enrichetta de fière allure, avec un grain de voix riche et franc tandis qu’Éric Martin-Bonnet fait valoir des moyens riches et percutants dans le rôle trop court de Lord Walton, père d’Elvira. Christophe Berry, fort solide et inspiré, complète dans le rôle de Bruno un plateau placé sous le signe de l’excellence.
Giuliano Carella offre une partition quasi complète de
l’ouvrage. Sa direction d’orchestre enchaîne avec beaucoup de
subtilité et de passion les pages les plus intimistes et les plus
dramatiquement intenses, avec une précision et une adéquation
pleines et entières. Son amour de la musique de Bellini se perçoit à chaque
instant et confère une dignité renaissante à cet ouvrage souvent
décrié non pour sa musique, mais pour son livret "tarabiscoté".
L’Orchestre et le Chœur de l’Opéra de Marseille s’élèvent
au meilleur sous sa direction.