Concert Mahler, Strauss, Britten par l'Académie de l'Opéra national de Paris
Au programme de ce récital centré avec cohérence sur les formes brèves de la modernité, un cantique de Britten et des Lieder parmi les plus bouleversants de Gustav Mahler et de Richard Strauss. Bouleversants et mémorables, notamment pour bien des auditeurs qui ont en mémoire les inoubliables interprétations de Kathleen Ferrier, de Dietrich Fischer-Dieskau, de Brigitte Fassbaender ou de Matthias Goerne... comme autant de défis posés aux jeunes et nouveaux interprètes pour susciter encore l'émotion et emporter l'adhésion.
Accompagnée au piano par son chef de chant Edward Liddall, la jeune mezzo-soprano indienne Ramya Roy (qui s'est d'ailleurs déjà illustrée dans la partie d'alto de la Huitième Symphonie de Mahler) est sans doute une des révélations les plus marquantes de cette soirée pour l'auditoire : sa voix au timbre d'une chaleur épicée rend avec une profondeur et une musicalité peu communes trois airs des Kindertotenlieder de Mahler, les Chants des enfants morts (ceux du poète Rückert). La tension ne cesse de croître, et laisse seulement regretter que les deux autres Lieder n'aient pas été donnés, tronquant ce corpus dénotant la maîtrise de la forme brève. Seule ombre au tableau de cette interprétation, la prononciation allemande de Ramya Roy est parfois inexacte, et son élocution n'est pas toujours assez précise.
C'est également la seule imperfection relevée dans la technique d'Ilanah Lobel-Torres qui interprète Le Cor enchanté de l'enfant (Des Knaben Wunderhorn) de Mahler. Ses vocalises sont d'une extrême agilité, le timbre est large et puissant : il en découle une magie mystérieuse à laquelle il est impossible de résister. Deux airs du cycle sont interprétés avec une vive intelligence du texte par le baryton Alexander York qui tient son legato jusqu'au bout des phrases les plus longues et ne peut qu'émouvoir par son timbre grave et chaleureux.
Nouveau défi pour la soprano Liubov Medvedeva qui, accompagnée par la pianiste Olga Dubynska, s'attaque vaillamment aux Brentano Lieder de Richard Strauss : il ne faut pas seulement venir à bout de leurs embûches avec une technique de virtuose, l'essentiel est d'en transmettre toute la sensualité. Loin de rester dans l'ombre de Natalie Dessay ou d'Edita Gruberova, elle se fraie un chemin délicat et singulier, avec des aigus d'une transparence caressante.
Composé en 1971, l'envoûtant Cantique IV de Britten pour contre-ténor (Fernando Escalona), ténor (Tobias Westman) et baryton (Alexander York) déploie ses sortilèges subtils, et les trois chanteurs restent en lien, dans une écoute mutuelle presque religieuse, pour servir les dissonances ironiques du poème de T.S. Eliot et celles de Britten.
Présenter des œuvres majeures en sortant des sentiers battus –et ce par le biais d'extraits- n'est pas une mince affaire. Ces jeunes artistes arrivent à bouleverser le public par leur fougue et leur maîtrise déjà exceptionnelles. Jamais en deçà des attentes, ils caracolent joyeusement en tête, du haut de leurs vingt ans. De quoi les imaginer, comme il est de coutume dans cette maison, franchir prochainement le pas de la grande scène.