Les Doux Travaux d'Hercule, l’enchantement d'Ercole Amante à l’Opéra Comique
Les artisans de cette production affrontent cet ouvrage ambitieux, commandé pour le mariage du jeune Louis XIV et de l’Infante Marie-Thérèse d’Espagne, créé en 1662 dans la nouvelle Salle des Manèges des Tuileries à Paris, avec à la fois originalité et respect. L’intrigue parait simple au départ -Hercule convoite la ravissante Iole-, mais bien entendu tout se complexifie sur cette base de départ et s’envenime.
Chaque tableau
présenté ici vibre alors d’une invention scénique nouvelle s’inspirant
du décorum esthétique et de la machinerie en vogue au 17ème
siècle. Les dieux descendent des cieux en ballon et voguent dans les
airs, les morts ressuscitent de terre, la nature s’amuse à
effrayer les humains et le sommeil, gros bonhomme bibendum savoureux,
crache de la fumée pour endormir Hercule.
Les vagues sont factices et assumées, Venus s’exprime depuis une colombe transformée en avion, Hercule tient en laisse une énorme créature verte et malicieuse chargée de porter la fameuse massue de son maître. Loin de former une succession de gags répétitifs ou un ensemble de clins d’œil d’un instant, le spectacle par sa franche fantaisie s’inscrit pleinement dans une approche soignée jusque dans le moindre détail, certes non révolutionnaire, mais particulièrement attentive à donner du plaisir sans arrière-pensée, propre à satisfaire les sens les plus éveillés.
Toute la dramaturgie, fort complexe en soi à mettre en œuvre sur la contraignante scène de la Salle Favart (sans dégagements arrière ou latéraux), apparaît hautement maîtrisée, ciselée et ne connait pas de temps mort. Les scènes plus dramatiques, comme la spectaculaire mort d’Hercule peu à peu englouti par le sol ou le duo déchirant Déjanire/Hyllus (mère et fils) de la fin de l’acte III, superbe page musicale toute emplie d’un amour réciproque sans limite, suscitent une émotion profonde. Pour décor, Laurent Peduzzi a imaginé un simple amphithéâtre modulable qui se prête aisément, avec quelques accessoires choisis, à toutes les transformations et les rebondissements de l’histoire. Les magnifiques et astucieux costumes créés par Vanessa Sannino participent allègrement à la plénitude du spectacle avec comme point d’orgue, la robe spectaculaire de Déjanire toute parsemée de larmes, à la traîne démesurée de 40 mètres de long traduisant son vibrant désespoir de l’abandon d’Hercule. Les lumières savamment travaillées de Christian Pinaud magnifient plus encore l’ensemble. L’éblouissante et toute rayonnante scène finale vient justement glorifier un règne qui s’ouvre sous les meilleurs auspices.
Au plan musical, le bonheur universel de l'assistance se situe au même niveau d’excellence, grâce en premier lieu à l’Ensemble Pygmalion, chœur et orchestre, d’une cohésion constante. Raphaël Pichon se donne sans réserve, offrant à la musique de Cavalli une couleur intensément chaleureuse et profondément dynamique, toujours prompt à transmettre toute son énergie et sa sensibilité à son ensemble. Les bruitages distillés durant la scène de la tempête ou la scène des enfers s’intègrent à cette volonté de transmettre et de faire vivre cette musique pleine de ressources théâtrales. Le chœur, très présent, que ce soit dans sa totalité ou pour de courtes parties solistes, démontre sa pleine maîtrise du style et de l’époque. Une chorégraphie efficace et discrète vient ponctuer le déroulé du spectacle.
Nahuel di Pierro s’amuse, c’est évident, à incarner cet Hercule sans scrupule, jouisseur et séducteur de pacotille, prêt à sacrifier son fils Hyllus pour séduire l’amoureuse de ce dernier, la douce et pure Iole. Sa voix de basse, aux graves profonds, se déploie avec facilité et netteté dans ce rôle somme toute peu sympathique. Le registre intermédiaire est d'une grande douceur, suave et lié avec goût. En Hyllus, personnage bien effacé par rapport à celui de son envahissant père, le ténor Krystian Adam délivre la musicalité de son chant. Le timbre séduisant alimente son legato. Il déploie d'abord les accents du tourment, puis se radoucit et s’assouplit particulièrement à la fin du drame, prisonnier de son père et de son amour.
Le trio féminin offre une prestation intense et poignante. La Junon vengeresse et animée d’Anna Bonitatibus capte toute l’attention dès son entrée. Sa voix de soprano au large ambitus habite le personnage ainsi criant de vérité. En Déjanire, la mezzo-soprano Giuseppina Bridelli interpelle par la majesté de ses moyens vocaux, de la ligne de chant, des accents introduits pour incarner cette épouse et mère confrontée aux plus grands malheurs. Sa grande scène de déploration constitue le sommet d'intensité musicale et dramatique. Iole a de Francesca Aspromonte la délicate voix de soprano aux aigus voyageurs, donnant à l'amour et à la fraîcheur des sentiments amoureux une réplique toute de joliesse et de sincérité.
Dans les deux rôles plus comiques tenus par des contre-ténors, le toujours sémillant Dominique Visse (Licco, le suivant de Déjanire), naviguant désormais d’une émission à une autre (entre des moments d'éclat et de silence), et Ray Chenez (Le Page), d’une ligne poétique même si la voix parait un peu mince, ravissent le public par leur engagement scénique et leur complicité de bon aloi.
En Neptune et l’Ombre d’Eutyro, la basse Luca Tittoto fait valoir des moyens imposants et d’une largesse expressive qui laissent pantois. Les soprani Giulia Semenzato et Eugénie Lefebvre affirment dans leurs différents rôles plus épisodiques mais importants pour la compréhension de l’action, un matériau vocal sensible et en adéquation.
Ercole Amante, qui avait été donné à la scène la dernière fois à Paris au Théâtre du Châtelet en 1981 après Lyon deux ans auparavant sous la baguette de Michel Corboz et dans une mise en scène de Jean-Louis Martinoty, renaît sur la scène de l’Opéra Comique avec ferveur et féerie.
Réservez vite vos places pour y assister à l'Opéra Royal de Versailles