La fausse Jardinière venue du Jardin des voix, à Nantes
La mise en espace réalisée par Sophie Daneman installe un dispositif scénique épuré (Adeline Caron) en avant-scène, suggérant un jardin où se déroulent tous les épisodes de l’œuvre. Suivant les nécessités du livret, les chanteurs contournent parfois l’orchestre en fond de scène, l’incluant alors dans la dramaturgie. Les éclairages assez mesurés secondent efficacement l’action. Les costumes (Pauline Juille), d'un XXe siècle indistinct, distinguent les milieux sociaux et peuvent plaider pour l’intemporalité du propos.
L’orchestre très alerte et pétillant sous la direction de William Christie offre un écrin de choix à ces jeunes chanteurs de la promotion. Le continuo est animé mais bien mesuré, à la salle comme à ces voix que le maestro a lui-même sélectionnées comme chaque année. Les grands accents sont réservés aux passages instrumentaux, le liant se faisant plutôt bourgeon dans l'accompagnement des voix.
L'implication collective dans le mouvement perpétuel qui ressort de ce spectacle souligne la complicité entre les jeunes interprètes sous l'égide de Sophie Daneman, malgré une configuration musicalement peu confortable toutefois, car le contact visuel avec le chef est quasi impossible.
Sreten Manojlović (Nardo, Roberto) est un jeune baryton avec beaucoup d’allure et une aisance scénique réjouie. La prononciation est un modèle de souplesse (surtout dans les caractérisations burlesques). Sa sonorité en demi-teintes souffre certes d'un petit déficit de largeur et de noirceur en regard du personnage. Rory Carver en Podestà est un ténor de caractère vocalement et scéniquement, fat, couard, veule, mais attachant, avec une grâce extrême. La voix, un peu terne et resserrée en ce soir, n'en demeure pas moins faite pour la richesse de ce type de rôle. Moritz Kallenberg incarne le Contino Belfiore. La voix de ténor mozartien, aisée, longue, d’un métal sûr, est chaleureuse et sonore. Ses demi-teintes savent colorer la ligne de chant à l’aune de ce que l’action requiert. Acteur, il assume aussi (dans cette mise en scène) un aspect bouffe du personnage, un peu dépassé parfois par la profusion des événements. Martial, tendre, dramatique ou joyeux dans le duo final, il semble prêt à envisager Ottavio, Tamino et Ferrando. Théo Imart qui chante le rôle de Ramiro est un contre ténor-sopraniste. La voix demeure droite, arquée, fixée sur une couleur, avec des accents agressifs dans l’aigu. L'articulation de qualité est remarquée dans cette tessiture mais elle ne soutient pas un jeu scénique timoré (surtout en comparaison de son personnage qui doit susciter la passion chez Arlinda). Le bas médium est particulièrement ténu et le grave inaudible, ne mixant pas avec une voix de poitrine.
La soprano Deborah Cachet incarne Arminda, rôle qui oscille entre le seria et le buffo. Cette aristocrate sait mener les hommes par le bout du nez et les châtier quand il le faut, surtout quand elle se fait aussi capricieuse que dans cette incarnation. Le rôle exige et reçoit des moments relevés, comme la véhémence outragée, mais aussi des moments très amusants, réjouis. La voix d'une belle étendue, offre un timbre assez chaleureux et convoque judicieusement ses couleurs selon les ethos concernés, défendant le rôle avec conviction. Mariasole Mainini qui incarne la Fausse jardinière Sandrina (et donc la marquise Violante) possède une voix de soprano, entre le clairet et lyrico-léger, qui peut encore se développer. La voix fruitée, brillante avec une souple extension, compense les redites d'un jeu timide. L'espoir trouve cependant des couleurs aussi justes que l'excessive folie. Enfin, Lauren Lodge-Campbell présente une jeune voix soprano, fine et claire, pleinement à l’aise dans le rôle de Serpetta. Du point de vue dramatique, elle dispose de l’abattage et de la faconde nécessaires à ce type de rôle, manquant seulement vocalement d'une assise plus solide dans le bas médium et le grave, avec une palette de couleurs plus vaste.
De quoi nourrir autant de beaux espoirs, pour que fleurissent ces voix et voir quand « les fruits passeront la promesse des fleurs » (comme disait le bien mal-nommé poète François de Malherbe).