Pavarotti, le génie est éternel au cinéma
Le documentaire est signé Ron Howard, connu comme acteur dans la série américaine Happy Days aux côtés d'Arthur Fonzarelli dit "Fonzie" (joué par Henry Winkler), avant de réaliser de grandes productions hollywoodiennes (notamment Apollo 13, Da Vinci Code ou encore un spin-off de Star Wars centré sur Han Solo). Avant ce Pavarotti, il a sorti deux documentaires, également dédiés à la musique mais dans des styles très différents : Made in America (2013, consacré au rapper Jay-Z) et The Beatles: Eight Days a Week (2016).
Ce long métrage (1h50) s'ouvre sur une expédition dans la forêt amazonienne filmée en caméra amateur : le périple effectué par Pavarotti et une poignée de ses suivants en 1995, sur les traces d'un autre légendaire ténor, Enrico Caruso, pour aller chanter au Théâtre Amazonas de Manaus. La légende veut que ce théâtre fut précisément construit pour attirer Caruso, mais il n'est en fait pas même sûr qu'il y ait chanté. Il paraît ainsi d'autant plus exceptionnel et précieux que nous disposions d'un film amateur montrant Pavarotti se mesurer bel et bien à l'acoustique et à l'histoire de ce lieu, devant une poignée d'happy few.
Ce film sur le légendaire Pavarotti semble ainsi, au premier abord, suivre les traces du récent documentaire sur la légendaire Callas (notre compte-rendu de ce film et notre interview du réalisateur Tom Volf), retraçant une vie et une carrière par des images d'archives, célèbres ou très rares. D'autant que Pavarotti (comme Callas) médite lui-même sur son héritage en début du film, avant de narrer sa propre carrière (sa voix off est exhumée d'interviews relatant sa naissance, ses débuts, sa carrière).
Mais là où Maria by Callas -comme son titre l'indique- laissait entièrement à la chanteuse le soin de raconter sa vie (quitte à ce que Fanny Ardant incarne la Divine en lisant ses lettres intimes), la narration de Pavarotti est bientôt confiée à une multitude de "narrateurs", ayant eu avec le chanteur des relations complètement différentes en durée, intensité, en proximité, et dans les très différents domaines de sa carrière. Une énorme différence s'établit alors, et ce documentaire devient une suite de séquences, plutôt courtes, s'enchaînant les unes après les autres. La logique semble être strictement chronologique (mais les dates ne sont pas clairement indiquées) et passe de Pavarotti peintre à Pavarotti donnant la recette des pâtes, Pavarotti chanteur dans les stades, puis un début dans une grande salle, un autre événement, retour dans cette grande salle, etc. L'immense richesse, diversité, variété de cette vie artistique est ainsi, certes, rendue dans sa frénésie insaisissable mais aussi très difficile à suivre, même pour le mélomane averti.
Entre deux photos de vacances, les Unes des magazines et des films d'opéra, entre deux pastilles rappelant le génie vocal mais aussi l'humour de Pavarotti, un autre filon est creusé dans cette vidéo, un axe rendu bien plus problématique : le rapport omniprésent de Pavarotti aux femmes (les nombreuses femmes de sa famille et de son voisinage qui l'ont élevé, ses femmes, ses quatre filles). Mais entre deux témoignages de Vittorio Grigolo ou de Placido Domingo (expliquant que LA voix est comme une "femme extrêmement jalouse et exigeante"), entre l'air de séducteur "La donna è mobile" et la manière dont Pavarotti touchait Joan Sutherland pour sentir et apprendre de son travail musculaire, entre les interviews des deux femmes de Pavarotti, le réalisateur donne notamment et à plusieurs reprises la parole à Madelyn Renée. Cette soprano américaine explique qu'à l'issue d'une Master-Classe, Pavarotti fit d'elle sa secrétaire en échange de cours de chant, comment elle l'accompagnait dans toutes ses tournées, chantait avec lui dans une "relation très complexe, entre l'amitié, l'apprentissage, le secrétariat, les duos d'opéra, l'amour." Luciano est décrit comme un homme impulsif capable de tirer soudain Madelyn Renée sur scène pour chanter le duo de La Bohème, puis (après d'autres épisodes qui s'enchaînent dans le documentaire, faisant de ce témoignage un feuilleton), d'en faire sa maîtresse.
Puis (dans une opposition diamétrale avec la Callas trahie par Onassis), l'infidélité de Pavarotti et son mariage (sur l'air de Samson et Dalila chantant "les serments d'autrefois") avec une autre jeune assistante et secrétaire, Nicoletta Mantovani qu'il accompagne fidèlement dans l'amour et la maladie. Les extraits d'opéras se font alors plus nobles et doucement sensuels : "Celeste Aida" et "Una furtiva lagrima".
Entrelacé en archives et témoignages, Pavarotti est aussi présenté comme un homme de famille et un père affectueux par-dessus tout. Puis et en même temps un people et un bienfaiteur. Puis par-dessus, un chanteur déchiré entre une carrière de vedette dans les stades de football avec les chanteurs Pop devant les têtes couronnées, et un chanteur de référence sur les planches d'opéra.
C'est finalement la carrière lyrique qui l'emporte, après E lucevan le stelle, sa mort en archives se confondant avec celle du héros d'opéra, il entonne un Vincerò! triomphal (dans le "Nessun dorma" de Turandot) qui referme le documentaire avant O sole mio à la mandoline...