De jeunes voix russes sur la scène de la salle Garnier de Monte-Carlo
Ce projet
d’Académie lyrique s’est concrétisé à l’issue des
célébrations de l’Année de la Russie organisées en Principauté
durant l’année 2015. Durant trois semaines fort intensives, dix
jeunes artistes de moins de trente ans issus de toutes les régions
de Russie sont accueillis au sein de l’Opéra de Monte-Carlo afin
de se familiariser avec les répertoires italien et français. Ces
sessions de travail sont couronnées par un spectacle donné sur la
scène de la salle Garnier.
Cette année, ces artistes en herbe bénéficient des conseils avisés de la grande soprano italienne Barbara Frittoli -magnifique Adrienne Lecouvreur de Cilea en 2017 au Forum Grimaldi dans la production de Davide Livermore-, des chefs d’orchestre Jean-Yves Ossonce et Giuliano Carella, des chefs de chant Samuele Pala et David Zobel, du chanteur et metteur en scène Yves Coudray, ce sous la direction artistique de la pianiste Kira Parfeevets.
Trois sopranos, trois mezzo-sopranos, deux barytons, une basse et un ténor constituent le noyau de l’Académie pour cette session 2019/2020. Dans son discours d’introduction, Jean-Louis Grinda fait sien un précepte avisé de son père, Guy Grinda, lui-même important directeur d’opéra et baryton à l’origine : « Débuter n’est pas un défaut ». Bien au contraire pourrait-on dire ! Mais trois semaines paraissent toutefois un rien limitées dans le temps pour franchir le cap des multiples difficultés d’assimilation de ce grand répertoire, incluant bien entendu la prononciation la plus distincte possible des deux langues appliquées, l’italienne et la française.
D’une personnalité à l’autre, cet écueil apparaît plus ou moins bien franchi. Au plus remarqué, figure le ténor Kirill Belov (25 ans), né à Oufa en République de Bachkirie et membre de l’Académie du Théâtre Mariinsky de Saint-Pétersbourg. Cette voix longue de ténor lyrique léger, à l’aigu insolent, au timbre séduisant, se mesure peut-être un peu prématurément au Lamento de Federico, E la solita storia del pastore, de L’Arlésienne de Cilea, un rien large encore pour lui. Pour autant, son interprétation est emplie d’une vraie passion, la ligne de chant s’avère soignée et la prononciation acquise. Il remporte sans conteste les pleines faveurs du public.
La voix de basse de Serghei Telenkov (30 ans), manque de relief et d’abattage, notamment pour le duo Adina/Dulcamara Quanto amore extrait de L’Élixir d’amour de Donizetti. Il peine à s’affirmer au plan vocal, tout en montrant des qualités scéniques en devenir. Sa partenaire Polina Koumylganova (25 ans) possède une voix de soprano corsée, agréable, mais l’aigu -comme pour plusieurs autres artistes présents d’ailleurs- s’arc-boute et tend à se durcir. Sa Valse de Musette de La Bohème (Puccini), interprétée avec toute la rouerie qui convient, se conclut très abruptement.
Les trois mezzos présentes peinent pour leur part à imposer leur volume et caractère vocal, la première Nazgul Ibraghimova (25 ans) dans la Séguedille de Carmen aux graves trop appuyés et à l’interprétation encore bien linéaire, la seconde Elizaveta Mikhaïlova (27ans) plus convaincue dans la Chanson bohème toujours de Carmen mais délaissant la sensualité attendue, la troisième Tsvetana Omelchuk (27 ans) qui vocalise avec facilité mais aussi beaucoup de variantes redondantes dans le Rondeau final de La Cenerentola de Rossini. Surtout l’aigu apparaît systématiquement ouvert, à la limite du cri.
Dans l’air de Suzanne des Noces de Figaro de Mozart Giunse alfin il momento, la soprano Yuliya Pogrebniak (28 ans) révèle de doux moments de chant malgré un bas médium peu sonore. Les deux barytons se confrontent pour leur part à deux airs italiens parmi les plus ambitieux du répertoire, celui dans Macbeth de Verdi Pieta, rispetto, amore pour Valery Kalabukhov (28 ans) et l’air et mort de Rodrigue du Don Carlo de Verdi pour Grigory Chernetsov (30 ans). L’un comme l’autre possède des moyens consistants, un timbre de fière allure, un aigu de qualité. Mais il reste à travailler ardemment l’aspect psychologique si essentiel pour pouvoir un jour envisager d’incarner ces rôles à la scène.
Plusieurs ensembles réunissant tout ou partie de ces jeunes artistes viennent ponctuer la soirée : sextuor Alla bella Despinetta du Cosi fan tutte de Mozart et le trio, or via sortite des Noces de Figaro où la soprano Dinara Yamaletdinova (26 ans) fait valoir des moyens solides dans la Comtesse.
Avec beaucoup d’habileté et avec l’acquis de son expérience de la scène, Yves Coudray parvient à animer et relier airs et ensembles, évitant toute lassitude dans le déroulé du spectacle. Se relayant au piano, Kira Parfeevets et Samuele Pala, en excellents professionnels, se révèlent un soutien sans faille pour les chanteurs. Il reste à souhaiter que de retour en Russie ces jeunes solistes vocaux puissent faire pleinement valoir les progrès accomplis sur les deux répertoires travaillés durant leur séjour productif à Monte-Carlo.
Pour la première fois par ailleurs, plusieurs lauréats du concours national de Ballet russe se sont également produits en public au début de soirée dans des solos ou duos extraits de ballets classiques comme La Belle au Bois Dormant de Tchaïkovski, Spartacus de Khatchatourian, Don Quichotte de Minkus. De petit gabarit, mais d’une agilité remarquable, aux sauts spectaculaires, le jeune danseur Alekseï Poutintsev est justement acclamé par les spectateurs dans un ensemble de variations issues du ballet Tarass Boulba de Soloviev-Sedoï.
Pour conclure la soirée sous le signe de la Russie éternelle, tous les artistes présents reprennent en chœur avec l’accompagnement complémentaire d’un joueur de balalaïka, le fameux chant de Larionov Kalinka, puis l’incontournable Il est revenu le Temps du muguet.