En chemin vers la repentance : Kanon Pokajanen d’Arvo Pärt par le Collegium Vocale Gent
Connue
sous le nom de la « paroisse des artistes », l’église
Saint-Roch ouvre ses portes pour une œuvre unique mais longue de
quatre-vingt-dix minutes : le Kanon
Pokajanen,
ou Canon de la
pénitence
d’Arvo Pärt. Si l’œuvre du compositeur estonien est récente
(1998), sa source et son fondement le sont bien moins : ce Grand
Canon de repentance
écrit par le saint syriaque André de Crète, date du VIIIè siècle.
Composé de neuf odes, cet hymne écrit en slavon, la langue
liturgique de l’Église orthodoxe, est étudié avec minutie durant
plus de deux ans par le compositeur. Profondément ancré dans la foi
orthodoxe, Arvo Pärt fait émerger les contours de la mélodie du
texte lui-même et le met en valeur par un chant exclusivement a
cappella. Cette symbiose entre le mot et la musique est accentuée
par le choix de mise en scène de l’ensemble : une
interprétation dans l’obscurité presque totale, rendant bien sûr toute lecture impossible pour le public. S’efface ainsi toute
effusion de sens qui pourrait être provoquée par l’architecture
de l’église : dorures et peintures disparaissent pour ne
laisser que la douce lumière des veilleuses et des cierges placés
le long des chapelles sur les bas-côtés. Au bout du chœur subsiste
l’éclairage de la Chapelle de la Vierge dont on aperçoit les
rayons et nuages de la sculpture de Falconet, telle une ouverture
vers le ciel, lointaine mais présente.
Arvo Pärt @ArvoPartCentre Kanon Pokajanen - thank you Collegium Vocale Gent Kaspars Putninš for wonderful performance at Église Saint-Roch Paris, production Philippe Maillard Productions! pic.twitter.com/zkn22KbCev
— Clyde Kull (@ClydeKull) 23 octobre 2019
De texture polyphonique, l’œuvre fait entendre des alliages étonnants entre les pupitres : le timbre cristallin des sopranos épouse et répond au velouté des ténors. Porteur d’un son parfaitement homogène, le chœur irradie d’une concentration infaillible durant toute l’œuvre. Les yeux rivés sur le chef, la posture des chanteurs est presque hiératique, leurs visages dénués d’expressions vives. C’est avec une mesure et une lenteur égales au chant qu’ils tournent les pages de la partition. Dans un silence complet et une attitude proche de la méditation, le chœur s’agenouille après la sixième ode pour une très courte pause. Ce recueillement transpire également des gestes amples et lestes mais non dénués d’impulsions de Kaspars Putniņš. Avec justesse et une exactitude qui rappelle les cloches d’une église, l’ensemble parvient à rendre unique chaque réitération des formules litaniques qui jalonnent les odes. Le chœur épouse le propre de l’écriture pärtienne qui est baignée de contrastes : entre le doux balancement des échos et la déchirure des registres aigus, l’ensemble offre avec le même soin des piani chaleureux et de puissants fortissimi.
Quelques parties solistes émergent du tissu polyphonique : Eddie Mofokeng se distingue par son timbre profond et rugueux qui rappelle les basses profondes russes tandis que le ténor Vincent Lesage fait résonner une voix presque angélique, sans aucune aspérité. Avec force et vigueur, la soprano Joowon Chung fait tinter et résonner les dissonances dans la prière qui clôt le canon.
Le Collegium Vocale Gent achève avec sérénité et sobriété ce long chemin, sillonné d’échos, de silences et d’appels, aussi exigeant pour les interprètes que pour le public. Sous les applaudissements répétés, Kaspars Putniņš salue en montrant la partition du compositeur comme pour rappeler de qui vient l’œuvre dont l’ensemble s’est fait que le chantre.