La Belle Saison franco-russe Tassou/Messiaen aux Bouffes du Nord
Le concert s'établit en deux parties, comme un exercice de style et d'imprégnation russo-français : les caractères d'abord déployés dans la musique de Dmitri Chostakovitch sont ensuite transportés, comme transposés pour exécuter le Quintette de César Franck et la Chanson perpétuelle d'Ernest Chausson. Symétrie dans la symétrie, chacune des deux parties commence par une pièce instrumentale pour déployer les jeux et les timbres avant qu'ils n'accompagnent ensuite la voix.
L'âme russe se compose ainsi d'abord avec le premier Trio de Chostakovitch (piano, violon, violoncelle). L'immense richesse de la partition est rendue par une grande diversité dans les modes de jeux des exécutants, aussi longs que saccadés, tirés que rebondis et piqués, appuyés jusqu'au raclement écrasé par lequel les interprètes se couvrent mutuellement, puis effleurés. Une richesse qui se conserve mais qui, pour accompagner Marion Tassou, diminue quelque peu en volume sonore. Relativement peu en fait, la voix de la soprano emplissant aisément l'acoustique des Bouffes du Nord avec les Sept Romances sur des poèmes d'Alexander Blok. Sans monter dans les décibels, les mains jointes et recueillies sur sa partition, elle se fait bien entendre grâce à un spectre vocal très resserré en son centre. Des graves slaves aux aigus plafonnant, la voix vibre fermement et droit au but. Une complainte cérémonielle orthodoxe, traversant de grandes steppes embrumées.
La puissance et la nostalgie de l'âme russe ne font que croître dans la seconde partie, offrant le résultat très étonnant de César Franck et d'Ernest Chausson visitant le Kremlin. Ces deux compositeurs ont certes vécu durant le siècle romantique qu'est le XIXe, ils représentent toutefois la continuité dans la tradition classique française, Franck l'organiste et professeur de Chausson au Conservatoire. Leurs harmonies nobles et amples disparaissent ici avec l'équilibre des formes et des phrasés, au profit d'une expansivité littéralement martelée et grinçante (archets très appuyés et proche du chevalet). La surenchère d'accents qui ne donne que davantage de prix à la douceur retrouvée dans la Chanson perpétuelle, la concentration harmonique rendant l'épure, le long souffle de l'amour et de la mer.