Le Triomphe du Temps et de la Désillusion aux Concerts d'Automne à Tours
Si son collègue-chef violoniste comme lui Julien Chauvin qui ouvrait le Festival la veille avec le Gala Mozart & Haydn avait encore une chaise dont il se servait fort peu (se soulevant régulièrement), Thibault Noally se dispense pour sa part de tout siège. Debout durant tout le concert, il fait se lever avec lui la violoniste qui lui donne la réplique en ouverture et en conclusion de la pièce. Hélas, le reste de son orchestre s'assied aussi régulièrement sur la justesse au point que même l'orgue semble faux (alors que ses notes sont fixes) et que l'orchestre prend à plusieurs reprises le temps -et la désillusion- de se réaccorder.
L'ensemble dirigé du violon par Thibault Noally (qui se sert de son archet comme d'une baguette lorsqu'il ne joue pas) sait toutefois rendre les intentions musicales suivant les caractères de chaque personnage : les graves appuis du Temps, les traits souples de la Désillusion, le plaisir de la Beauté et la beauté du Plaisir. Les instruments s'unissent et s'affrontent comme le font les personnages allégoriques dans leurs alternances et ensembles.
Les quatre solistes vocaux incarnant chacun une allégorie viennent au milieu de la scène poser leur partition sur les pupitres (même lorsqu'ils n'ont qu'une phrase ou quelques mots avant de tourner les talons vers les côtés), interprétant cette succession de récits et d'arias virtuoses comme autant d'occasions d'être applaudis.
Anna Bonitatibus offre un Plaisir (Piacere) opulent de port comme de voix (et celle-ci de matière comme de placement et d'articulation). Elle est toutefois plongée dans sa partition, au point de coller le menton sur le poitrail. Les graves s'enténèbrent mais les aigus se tendent. La voix dévie un peu dans certaines cavalcades de vocalises mais elle les assume à toute vitesse et toute articulation, sautant même sur la dernière note comme une haie franchie. L'effet n'en devient que d'autant plus beau lorsqu'elle relève les yeux pour interpréter le Lascia la spina (qui est également le célébrissime Lascia ch'io pianga dans Rinaldo), molto dolce et très vibré, chanté devant des couleurs d'automne (le fond de scène variant ses lumières toute la soirée pour s'arrêter ici sur l'orangé mordoré des feuilles tombantes et de cette voix).
Anna Bonitatibus | Rachel Redmond (© Remi Angeli) |
Si elle remplace Ana Maria Labin dans le rôle de la Beauté (Bellezza), Rachel Redmond a toutefois pu effectuer les répétitions. Et si elle suit sa partition, elle propose aussi au public un regard tendre et délicat, à l'image de sa voix, notamment dans la moitié inférieure du registre alors que les aigus sont très appuyés et radieux. Les cordes seules et le duo avec hautbois solo (qui s'avance en soliste) notamment donnent tout son sens musical au nom de son personnage et de cette voix, qui estompe les consonnes dans un surcroît de douceur.
Carlo Vistoli, la "Désillusion" (Disinganno), est un contre-ténor à la voix râpeuse, qu'il appuie dans les fins de phrases. Son souffle porte les longs phrasés nourris de crescendo/decrescendo et de vocalises (un peu tremblotantes). Victor Sicard, Temps (Tempo) très animé, offre un visage aux expressions menaçantes, une voix engorgée dans le médium, mais souple dans les accents. L'aigu tendu cingle, mais il sait aussi enchaîner ses phrasés du bout de la voix, intensément soufflée.
Victor Sicard | Carlo Vistoli (© Remi Angeli) |
Le public applaudit avec d'autant plus d'enthousiasme cette occasion rare et précieuse : grâce aux Concerts d'automne, l'Opéra de Tours a sa petite saison baroque alors qu'il ne programme pas ce style (pourtant bien davantage adapté aux dimensions de son acoustique et de sa fosse qu'une Tosca).