Concert-Spectacle d'ouverture à l'Opéra National du Rhin
Opéra de l'année 2019 ! Le premier des grands étendards déroulés fièrement du haut en bas de la façade rappelle que la dernière saison à l'Opéra National du Rhin a été couronnée par trois prix prestigieux : celui d'Opernwelt, mais également l'Oper Award décerné à Barkouf d'Offenbach pour la meilleure redécouverte 2019, ainsi que le Grand Prix du Syndicat de la critique pour Beatrix Cenci (meilleur spectacle lyrique de l’année). Autant d'hommages rendus à l'action artistique de la Directrice Eva Kleinitz, qui s'est éteinte durant cette dernière saison.
Les autres affiches annoncent les prochains spectacles et le public se presse nombreux pour en apprécier un avant-goût. Mais, à l'Opéra national du Rhin, les présentations de saison sont loin de se cantonner à l'affichage : elles sont un spectacle à part entière ! Ce concert événements donne ainsi l'occasion à un large auditoire de venir prendre le pouls lyrique de leur ville, de découvrir un panel d'interprétations, d'opus, voire ce lieu, avec l'envie de revenir. D'autant que le programme de la soirée, à l'image de cette maison, est d'une richesse qui parcourt les styles, les époques et les lieux.
L'Orchestre Symphonique de Mulhouse dirigé par Giuliano Carella assume le rôle de fil rouge pour ce voyage et fait ainsi une démonstration en parcourant les styles : bel canto, opéra classique et romantique en italien, allemand, tchèque, comédie musicale yiddish américaine, valse russe, opérette avec french cancan.
En ouverture de ce Concert d'ouverture de saison, l'Ouverture de Cosi fan tutte annonce cet opéra de Mozart qui sera représenté à Strasbourg, Mulhouse et Colmar en mai-juin prochain. L'orchestre ample et accentué démontre d'emblée sa richesse et justesse d'ensemble, valorisant l'intervention de chaque soliste. Les pupitres sont très distincts et harmonieux entre eux. Le frémissement tout rossinien des cordes montre une phalange rompue aux différents rythmes et styles. L'orchestre glisse en montées et descentes, faisant la longue échelle à la mezzo-soprano Ambroisine Bré qui interprète "Ah scostati!", air de Dorabella. Très élancée, expressive, lyrique dramatique dans son récit chanté, les médiums graves s'intensifient en expirations haletantes. L'aigu serré et pointu n'a pas eu le temps de se préparer comme il le fera en mai-juin prochain, par l'interprétation de tout ce qui précède dans ce rôle et dans la saison. Clara Guillon et Gautier Joubert la rejoignent ensuite sur "Soave sia il vento". S'ils ne participeront pas à la production sur ces planches, les deux jeunes artistes font partie de l'Opéra Studio et reviendront pour Les Rêveurs de la lune. La soprano déploie déjà une ligne franche, animée et très articulée, les légères stridences aiguës ne rompant pas le liant ni la prosodie. La basse n'a pas eu le temps de préparer son registre aigu, il tait donc simplement les notes au sommet de ses lignes, notes qu'il saura certainement retrouver en poursuivant ses amples montées mélodiques, assises sur un timbre souple et articulé.
Dans une robe de lune, devant un clair de lune (projeté par les lumières de salle), la soprano sud-africaine Pumeza Matshikiza interprète la sublime "Chanson à la lune" de Rusalka. La voix est intense, sombre dans l'assise mais claire (de lune) dans les résonances aiguës. La gorge reste toutefois serrée et le menton bas entraîne le diapason. L'orchestre lui offre d'autant mieux la brillante clarté de ses trompettes rutilantes, sa justesse et son placement (des timbales grondantes au triangle tintant). Rusalka de Dvořák fera ainsi, avec elle, son entrée au répertoire, juste avant une comédie musicale (genre qui n'avait plus été donné depuis 15 ans) : Un violon sur le toit.
Parsifal s'annonce (pour juin-juillet) avec son ouverture réunissant l'ensemble des qualités symphoniques de cette soirée : douceur des cordes à l'unisson, ample noblesse des cuivres, assise des graves, bois délicats, articulation des lignes et des plans. Enfin, Le Trouvère qui refermera la saison lyrique déploie déjà une riche association de couleurs à la fois sombres et trillées sur les aigus flûtés. Le chœur maison est sonore, charpenté, mais aussi agile sur Verdi qu'il était grave et solennel sur le toit. Hormis le grave poitriné et quelques aigus couverts, la jeune chanteuse Ezgi Kutlu a encore tout à construire du rôle d'Azucena (la voix bouge, perd la note, la projection, le timbre) mais si elle revient ce soir dans la maison où elle débuta par Beatrix Cenci, c'est Sonia Ganassi qui tiendra le rôle dans Le Trouvère.
Le Rhin pouvant s’enorgueillir d'un Opéra national, il dispose d'un Ballet et propose une saison chorégraphique ici incarnée, sur la Valse n°2 de Chostakovitch, par la performance assurée de Cauê Frias Duarte. Un seul morceau lui permet, à lui seul, d'offrir comme pour la musique un panorama de styles, son corps s'élançant en contorsions nerveuses puis caoutchouteuses, robotiques immédiatement assouplies, avec des gestes à la fois gracieux et narratifs.
Entre les morceaux, ou plutôt parmi eux, le comédien Olivier Breitman interprète des textes qui éclairent le sens musical. Ces moments n'interrompent pas la musique, bien au contraire, puisque le récitant a une certaine et douce musicalité vocale propre à sa prosodie (ce qu'il confirme en chantant, comme il le refera en décembre-janvier, "Ah si j'étais riche" du Violon sur le toit, très varié en intensité et intentions, tel un caméléon vocal s'appropriant l'humour et l'esprit yiddish). Entre les morceaux de Mozart, un texte consacré au compositeur par Chantal Thomas plonge dans la vie, la mort du génie, la genèse de ses œuvres. Vie et œuvre de Verdi qui servent, également, à éclairer Le Trouvère replacé au cœur de la Trilogie populaire (entre Rigoletto et Traviata). Applaudi comme les autres artistes, le comédien réalise de petites pièces "polyphoniques" à lui seul : incarnant les trois personnages dialoguant dans Rusalka (petite sirène, père neptunien et sorcière).
Enfin, Offenbach est offert en bonus : même s'il n'est pas au programme de la saison prochaine, il a permis à l'Opéra du Rhin de décrocher un prix la saison dernière, il poursuit le Bicentenaire du compositeur et il offre toujours une occasion idéale pour refermer les récitals. "Tout tourne, tout danse" dans La Vie Parisienne comme dans le Cancan d'Orphée aux Enfers. Les solistes -avec l'entraînant-tonique ténor Tristan Blanchet- et chœurs ont la qualité rarissime de rendre intelligibles les paroles du Galop Infernal (souvent noyées dans le rythme et les lalala). Le public applaudit en rythme ce bis qui referme la soirée en beauté, comme il annonce la nouvelle saison.