Rigoletto perd sa fille mais gagne un triomphe à l’Opéra de Metz
Mantoue
aux multiples facettes se dévoile par touches dans le décor de
Poppi Ranchetti. Un plateau tournant révèle le palais du Duc,
figuré par des panneaux de marbre blanc aux veinures grises, puis la
maison de Rigoletto et enfin la bicoque de Sparafucile et son
escalier en haut duquel Gilda est poignardée. La belle ville
lombarde s’identifie en filigrane dans le décor, de la brique du
mur qui longe la maison de Rigoletto et rappelle la piazza Sordello
qui aurait perdu de son lustre, aux fresques qui décorent les murs
de la maison et évoquent celles du Palazzo Te.
Par le jeu des lumières de Patrick Méëus, la ruelle sombre permet l’intrusion tout en discrétion du Duc et l’arrivée des ravisseurs de Gilda devant la maison. Prenant au pied de la lettre le livret et les recommandations du bouffon à sa fille, Paul-Émile Fourny enserre Gilda dans un labyrinthe de fenêtres-cages. La métaphore de l’oiseau est filée jusqu’à sa robe, savant alliage de plumes délicates qui renforcent la caractérisation de la frêle et rêveuse jeune fille. L’ensemble des costumes de Giovanna Fiorentini, élégants et intemporels, sert pleinement chacun, des figurantes lascives à la gorge littéralement déployée chez le Duc, au manteau sombre du Comte Monterone qui apparaît, glaçant, dans la stature gigantesque de Jean-Fernand Setti. Aux élégants fils d’or du Duc coureur de jupons s’opposent les costumes de Rigoletto, bouffon fardé de blanc de céruse, costume rose à plumes et fraise lâche qui le fait ressembler à un champignon, avant de revêtir des couleurs plus sombres au fur et à mesure de l’argument, de son effroi et de son désespoir paternel.
C’est à Pierre-Yves Pruvot que revient le rôle-titre, pour le grand bonheur du public qui lui réserve de nombreuses acclamations tout au long de la représentation. Dès les premières interventions mi-chantées, mi-parlées apparaît un potentiel vocal qui se confirme et éclate dans ses emportements et sa fureur. Syllabes longuement tenues dans les graves, emportements colériques qui trouvent leur paroxysme dans une portée toujours prodigieuse et une diction claire, Pierre-Yves Pruvot incarne Rigoletto. Le jeu de scène du baryton, totalement dévoué à son personnage, achève de conquérir le public.
Thomas Bettinger sculpte son Duc de Mantoue propice aux envolées lyriques pour parvenir à ses fins, ronflant comme un coq devant sa basse-cour. La théâtralité du personnage est astucieusement campée. Dans les airs universellement connus, les aigus du ténor prennent la couleur adéquate, moqueurs sur la soi-disante inconstance des femmes, forte dès qu’il s’agit de conquête, mais la justesse s’enraye quelque peu dans les mediums. La diction reste cependant toujours claire et efficace.
Efficacité aussi pour la caractérisation du spadassin Sparafucile sous les traits de la basse Mischa Schelomianski que le public de la maison messine a plaisir à retrouver. Les graves défilent, glaçants et longuement tenus, la diction est un modèle de précision. Le personnage retors trouve là aussi un interprète de choix, tout comme Monterone à qui Jean-Fernand Setti donne, par des graves retentissants, une dimension quasi-sépulcrale qui convient parfaitement à la malédiction qu’il jette. Tadeusz Szczerblewsky demeure un ténor plus discret encore que son personnage Matteo Borsa, et à la portée limitée.
La clarté de diction des barytons Benjamin Mayenobe et Julien Belle, Comte Ceprano et Marullo, compense une sonorité française de l’italien. Chez les rôles secondaires féminins, la soprano Déborah Salazar est une Comtesse Ceprano aux aigus soyeux, et Hadhoum Tunc remplit méticuleusement son rôle de petit page. La mezzo-soprano Sylvie Bichebois renforce sa touchante Giovanna par des aigus tout en rondeur.
Des deux objets du désir du Duc, difficile de choisir entre la contralto Sarah Laulan en Maddalena et la soprano Oriana Favaro en Gilda. Si cette dernière, oiseau frêle, a besoin d’un peu d’échauffement vocal au début du premier acte, elle prend son envol sur l’air Caro Nome auquel elle confère des aigus purs, avant de réduire à dessein sa portée, agonisante dans les bras de son père. Sarah Laulan est sa némésis, d’abord maîtresse-femme aux aigus assurés, efficaces et puissants, puis plus doux dans ses négociations avec son frère pour épargner la vie du Duc.
Le Chœur d’Hommes de l’Opéra-Théâtre de Metz-Métropole préparé par Nathalie Marmeuse déploie puissance, clarté et pointes railleuses face à Rigoletto. Cyril Englebert, à la tête de l’Orchestre de l’Opéra de Reims, maison co-productrice, laisse le champ et le chant libre aux solistes. Gilda et Sparafucile trouvent en la flûte et la contrebasse un soutien instrumental de choix. Rigoletto au désespoir de sa supplique est soutenu par le violoncelle caressant et consolateur. Pour Caro Nome, le tempo, très lent, renforce la naïveté et la fragilité. Au rapt de Gilda, l’orchestre calque avec virtuosité l’impression d’urgence et de catastrophe à venir, et trouve, dans les premières mesures du troisième acte, la couleur émouvante d’un tempo retenu.
Le plateau vocal et technique s’assure un accueil triomphal. Pierre-Yves Pruvot, sorti de son personnage, peut laisser éclater sa joie et offrir au public un visage enfin radieux.