Un Barbier qui décoiffe à l’Opéra de Rouen
« Précaution
inutile » : Rossini dans sa partition prend à la lettre
ce sous-titre donné par Beaumarchais au Barbier de Séville.
Le tempo musical est d’emblée frénétique et, à ce titre,
l’Orchestre dirigé par Antonello Allemandi est un peu à la peine
dans ses recherches d’éclat au début de l’œuvre. Toutefois,
l’ensemble se corrige très vite et il (re)devient alors cet
indispensable rail directionnel offrant aux chanteurs et à la mise
en scène une structure dynamique pour déployer l’intrigue.
Dans un décor très esthétique et typique, une structure unique servant à figurer une cour (avec ses carrelages arabo-andalous, typiques de Séville) puis l’intérieur de la maison de Bartolo (avec ces mêmes carrelages et une somptueuse couleur rouge sang de bœuf), les éclairages de Gilles Gentner contribuent à caractériser les lieux et les situations. Dans les somptueux costumes qu’il a conçus (ainsi que le décor), Pierre-Emmanuel Rousseau propose une mise en scène efficace, épousant le parti pris rossinien en inscrivant cette intrigue dans un mouvement perpétuel. L’entrain est assumé par les personnages qui bougent sans cesse et il est relayé, quand ils doivent s’immobiliser, par deux acteurs figurant deux vieux laquais. Les gestes et rituels constants de servilité, articulent les numéros en se succédant au fil de l’œuvre. Les mouvements sont parfois de simples déplacements, mais souvent, dans les chœurs et les ensembles, ils sont chorégraphiés et impliquent même les solistes, entre jazz et Broadway !
La grande Berta assume le rôle de fil rouge, truffant toutes ses interventions et donc le spectacle de gags, comique de situations (défendant les intérêts de Bartolo et tentant de contrecarrer les intentions de Rosina) mais aussi musical (s’élançant par exemple dans une surenchère frénétique d’aigus par-dessus tête dans les ensembles). Cela tient au talent de son interprète Julie Pasturaud, dotée d’une nature comique et d’une riche voix de mezzo-soprano bien projetée, claire et sonore, fruitée dans l’aigu, chaude dans le grave, mixée ou poitrinée.
Mirco Palazzi en Basilio déploie un baryton-basse à la voix très sonore et étendue, qui met toute sa noirceur dans l’air de la calomnie, particulièrement conduit, sachant ménager ses moyens jusqu’à la montée du crescendo. Il est de plus un comédien passant de la rouerie à la veulerie avec virtuosité. Riccardo Novaro prête à Bartolo sa voix chaleureuse de baryton. Il sait incarner ce "cliché" d’opéra buffa (le vieux barbon) en l’humanisant un peu, sans trop accentuer la charge du ridicule. Il assume efficacement le rôle tant vocalement que théâtralement, avec une petite réserve de volume (presque parlé) lors des moments où le débit s’accélère. En revanche, dans les moments plus calmes, la voix frise souvent les accents du lyrisme.
Joshua Hopkins a le baryton sonore requis pour le rôle de Figaro. La virtuosité est impeccable, tant dans les vocalises que dans les moments à haut débit, où sa prononciation et son abattage font florès. Sa grande scène d’entrée est secondée par une incarnation sensuelle et très naturelle du personnage, très proche d’un Papageno (dans sa dimension corporelle). Antoine Foulon est un jeune baryton-basse, qui fait ses classes et défend avec soin ses seconds rôles (ici, Fiorello et l’Officier), d’une voix étendue mais de format mesuré.
Pour sa prise de rôle, la mezzo-soprano Lea Desandre est une Rosina avec une voix étendue, des graves affirmés, un aigu facile, souvent sollicité dans des dynamiques faibles (piano, double voire triple piano). Le phrasé privilégie la variété, articulant les dynamiques au gré des mots, ce qui rend le discours pertinent et suivi. Elle vocalise avec grâce et une aisance naturelle, toujours audible (même dans les ensembles, même lors des crescendi, là où les voix graves sont souvent à la peine) : le même naturel avec lequel elle se meut sur scène, danse et joue.
Enfin, le jeune ténor Xabier Anduaga est doté d’une voix très projetée, facile, sonore, étendue, avec une grande capacité à colorer, un timbre latin, usant dans l’aigu de sons pianissimo, appuyés ou à pleine voix, selon les besoins de l’expression. Il vocalise et débite a tempo, sans perdre de volume, restant également audible dans toutes les situations. La mise en scène est chez lui dans la voix, avec les différentes facettes du rôle.