Norma énergique et crépusculaire à Toulouse
Cet opéra, sommet du bel canto romantique, n’avait plus été représenté sur cette scène depuis 40 ans. Anne Delbée et ses fidèles collaborateurs -Emilie Delbée, Abel Orain pour les décors, Mine Vergez pour les costumes et Vinicio Cheli pour les lumières- inscrivent le spectacle dans une ambiance dramatique crépusculaire où la lune vient peu à peu occuper tout le temps et l’espace. Au premier acte, de longs rideaux dessinant des arbres stylisés encadrent la scène, elle-même partiellement occupée par un praticable où Norma officie.
Les tonalités sombres dominent jusque dans les costumes d’un rare et fastueux raffinement. Seule, Norma, parée de rouge puis d’un superbe manteau mordoré durant le Casta Diva semble comme rayonner de l’intérieur. Les rideaux disparaissent en seconde partie d’acte pour laisser apparaître de hautes cloisons que magnifient et transcendent les éclairages, du blanc le plus franc au doré le plus précieux. Le dispositif s'impose du second acte jusqu'au final, où le praticable central se soulève, révélant une spectaculaire statue de chevaux due au sculpteur Vincent Lievore : ces derniers semblent vouloir emporter Norma et Pollione vers des cieux plus sereins même si le bûcher, ici juste suggéré, menace.
Balint Szabo & Marina Rebeka - Norma par Anne Delbée (© Cosimo Mirco Magliocca)
En femme de théâtre amoureuse des grands textes -en témoigne sa mémorable mise en scène de Phèdre à la Comédie-Française notamment-, militante affirmée et qui révéla par ailleurs la fascinante personnalité de Camille Claudel dans son roman à succès Une femme, Anne Delbée se soucie de mettre en valeur les résonances intérieures du texte et ici de la musique. Elle élabore ainsi un spectacle, certes de forme classique, mais soucieux de l’identité propre de chaque personnage et surtout porteur d’une esthétique d’ensemble. Afin de relier l’action druidique à ses origines et aux anciennes civilisations, elle introduit un personnage mystérieux, un Cerf Blanc, sorte de barde, incarné par le comédien Valentin Fruitier. Ce dernier récite en français -malheureusement en superposition sur certaines parties musicales non chantées-, des extraits d’un texte issu des mythologies irlandaises, quelque peu hermétique toutefois, sinon ésotérique, qui ne vient pas éclairer plus avant le texte déjà puissant du librettiste, Felice Romani.
Christophe Ghristi -Directeur du Capitole- avait annoncé, pour les huit représentations programmées, deux distributions différentes au niveau des principaux rôles. Marina Rebeka alterne toujours avec la jeune Klára Kolonits dans le rôle-titre, cette dernière assurant deux des soirées. Mais la mezzo-soprano prévue au second cast s’étant retirée pour le rôle d’Adalgisa, Karine Deshayes a accepté de chanter la totalité des représentations. De même, Martin Muehle étant parti durant les répétitions, le jeune ténor espagnol, très remarqué l’an dernier sur cette même scène en Alfredo de La Traviata, Airam Hernàndez, prévu initialement pour les représentations avec Klára Kolonits pour partenaire, a justement hérité de toutes les soirées en Pollione. Cette part d’événements a peut-être motivé les trois protagonistes principaux qui se dépassent en scène dans une sorte d’exaltation presque permanente. Marina Rebeka engage d’emblée le jeu avec une prestation fort spectaculaire, plus basée toutefois sur la démonstration de l’extravagance de ses moyens vocaux et scéniques que sur la profondeur et l’expression. La voix s’élève avec une facilité déconcertante, une énergie pleinement affichée, un sens inné de l’autorité. Dotée d’une largeur devenue rare, elle impressionne plutôt qu’elle ne séduit. Le timbre affiche, dans le medium notamment, une sorte d’opacité mais sans cette continuité esthétique caractéristique du rôle.
Marina Rebeka ne possède pas la chaleur des voix italiennes certes. Elle vocalise avec aisance, cherche à alléger, avec des aigus émis souvent de façon dure voire tirés jusqu’au cri. L’artiste revendique son incarnation toute imprégnée par la passion jusqu’au sacrifice. Dans les duos avec Adalgisa pourtant, elle renoue avec la tempérance, beaucoup plus attentive au legato, à l’art de la nuance, qualités intrinsèques qui habitent le chant souverain de sa partenaire, Karine Deshayes. Cette dernière incarne une Adalgisa rêvée, dressant un portrait tout empli de sincérité et de jeunesse. La longueur de la voix, sa souplesse, ses accents colorés, l’harmonie qui imprègne son chant, donnent son juste et authentique caractère à ce beau personnage.
À leurs côtés, Airam Hernàndez ne démérite certes pas pour sa prise de rôle. Il aborde Pollione avec un esprit bel cantiste affirmé, d’une voix assurée et posée, osant avec bonheur certains aigus en falsetto. Si la composition scénique se révèle encore un peu sage, elle s’affirmera avec le temps tout comme l’utilisation d’un panel plus large dans le choix et la variété des couleurs en lien avec une liberté expressive plus accentuée.
La voix de basse imposante de Bálint Szabó insuffle tout son caractère au rôle plus épisodique d’Oroveso. Son entrée vigoureuse, au milieu du Chœur du Capitole remarquablement préparé par Alfonso Caiani, marque durablement les esprits. Andreea Soare se distingue en Clotilde, la suivante de Norma, d’une voix lumineuse passant bien dans la salle du Capitole. François Almuzara (Flavio) par contre, semble un peu fâché avec la justesse au-delà d’une réelle présence scénique.
La direction musicale de Giampaolo Bisanti déborde de vitalité, mais aussi de rigueur. Elle magnifie -s’il en était besoin- la musique somptueuse de Bellini. Tout en étant particulièrement attentif aux chanteurs, le chef se laisse quelquefois gagner par l’enthousiasme général, l’orchestre jouant alors un peu fort pour la salle du Capitole.
Cette première production de la saison reçoit un accueil dithyrambique de la part du public toulousain, toujours aussi amateur de grandes et belles voix.