Vivaldi, Haendel : le baroque jubile avec Jean-Christophe Spinosi au TCE
Le cachet Spinosi se révèle tout d’abord dans une revisite de deux œuvres très connues du répertoire baroque, le Dixit Dominus de Haendel et le Gloria de Vivaldi (opus au répertoire de tous les chœurs amateurs). C’est avec une grande liberté (qui a pu lui être reprochée) et beaucoup d’inventivité qu’il délivre la musique, tout en contrôlant ses troupes de gestes amples et de regards motivants. Le premier verset Dixit dominus est ainsi stupéfiant de variété de phrasés vivifiant le discours musical, et l’introduction du Gloria joue des crescendi-decrescendi, faisant émerger des vagues et des effets d’échos dans une animation sans cesse renouvelée. Les battements des cordes sur Conquassabit capita in terra multorum (Il fracassera les têtes sur la Terre) se transforment en une danse primitive et les rythmes pointés de la sixième partie du Gloria, en un galop effréné. Chaque note, chaque phrase est pensée, articulée (de façon exagérée pour certains) et, si quelques tempi semblent rapides, c’est que l’intention du phrasé est élargie et que les appuis sont considérés dans un espace plus ample.
Le maestro s’appuie sur une phalange d’experts, l’Ensemble Matheus, qui le connaît et le suit dans le monde entier depuis 1991. Le son global, dans l’acoustique assez mate du théâtre, peut manquer d’un certain éclat dans les pages soutenues, mais la précision du jeu captive l’auditoire tout au long du concert. La violoncelliste délivre un continuo inspiré et le hautboïste exécute joyeusement la partie soliste du Domine Deus.
La fidélité participe de l’empreinte Spinosi. Le Chœur de chambre Mélisme(s) dirigé par Gildas Pungier partage avec lui sa passion pour la musique et la Bretagne depuis 2006, tissant une amitié artistique conduite sur les grandes scènes. L’acoustique peu réverbérante permet alors de déguster la netteté de l’ensemble, la précision des vocalises et les délicieuses tensions des dissonances. Elle permet également de profiter des couleurs des différents pupitres, celui des basses effectuant un soutien efficace.
Le chef noue également des liens artistiques avec les trois solistes qui se joignent à l’ensemble, chacune ayant participé à des productions qu’il dirigeait: Juditha triumphans pour Ekaterina Bakanova, Le Couronnement de Poppée pour José Maria Lo Monaco, et Marlène Assayag travaille régulièrement avec l’Ensemble Matheus.
La première, soprano russe, sans doute davantage habituée à un répertoire plus tardif, se plie non sans efforts aux exigences de nuances du chef. Elle y parvient cependant et sa voix s’illumine joyeusement quand elle marie son timbre à celui du hautbois dans Domine Deus (Vivaldi) et montre une agilité aisée lorsqu’elle vocalise de pair avec les violons dans Tecum principium. Son timbre charnu convient à la partie de soprano 2 dans l’extatique duo De torrente du Dixit Dominus ainsi que dans Laudamus te, répondant allègrement à Marlène Assayag. Celle-ci interprète les parties d’ensemble d’une voix fine et précise avec des aigus faciles et une agilité irréprochable lui permettant un Laudamus te jubilatoire.
La mezzo-soprano José Maria Lo Monaco possède une voix ronde et chaleureuse pouvant manquer de projection, notamment dans les ensembles (surtout lorsque les chanteurs restent postés derrière l’orchestre). Dans le deuxième verset du Dixit Dominus, son timbre se marie à celui du violoncelle avec lequel elle dialogue en doubles croches et en sons tenus de façon très vivante. Son chant part du silence et s’intensifie dans une belle vibration sur le Domine Deus, Agnus Dei, moment clé où les silences s’imposent, étirant le temps infiniment.
Marco Angioloni (ténor) et Jean-Jacques l’Anthoën (baryton) sortent du chœur pour de courtes interventions assumées d’une voix très ouverte et claire pour l’un, bien timbrée et vibrante pour l’autre.
Le concert ne s’achève pas à la fin du Vivaldi très applaudi, car le chef, visiblement touché par cette ovation, prolonge la soirée en une sorte d’after réjouissant. C’est en effet dans une grande joie que Vivaldi se teinte de gospel sous les claquements de doigts des choristes, et que le public est amené à chanter Amazing grace. Dirigeant tout en improvisant sur son violon, Jean-Christophe Spinosi jubile et n’a de cesse de remercier les artistes et le public qui « n’avait jamais vu ça ! ».