Christopher Lowrey conquiert le TCE en Jules César
Après Don Giovanni, le Théâtre des Champs-Élysées présente un autre sommet du répertoire lyrique en version de concert : Jules César de Haendel. Portés par Christophe Rousset, à la direction enthousiaste et dramatique, Les Talens Lyriques visiblement rôdés à l’ouvrage, réunissent des visages qui leur sont bien connus, fruit d’anciennes collaborations. Un Jules César assez informel en somme, permettant à l’audace dans le jeu de prendre forme (malgré un recours à la partition parfois regrettable) et apprécié par un public bienveillant dont les applaudissements comme de sonores bravi jalonnent le spectacle.
Légèrement incertain lors de son arrivée en vainqueur de l’Égypte, Christopher Lowrey prend rapidement la mesure de son rôle. Dès l’aria Empio, dirò, tu sei lancée contre Tolomeo, riche en vocalises-fusées et au crudeltà martelé, le contre-ténor installe une voix plus homogène sur la tessiture et une assurance dans l’attaque qui sied à la stature de son personnage. L'énergie fougueuse qu’il déploie dans sa lutte guerrière (les arpèges claironnants du Va tacito e nascosto, appuyé par des médiums ronds et sonores) permet d'apprécier davantage la parole du souverain éclairé, dans l’esprit et l’aigu soyeux, mais également celle de l’amoureux transi aux élans de rhapsode.
Vêtue d’une robe lapis-lazuli, Karina Gauvin libère sa voix et sa prestance régalienne en Cléopâtre, conservant la souplesse ondoyante pour affirmer davantage la conduite mélodique. Tenant tête à Tolomeo avec fermeté (senz'onor, senza fede, e senza legge d’un médium de fer), elle apporte par son Da Tempeste une joie dont le trait très vibré de la voix vient montrer toute l’ampleur. L’expression reste malgré tout contenue par une attention trop appuyée accordée à la partition, notamment dans le Se Pietà et le Piangerò, moment traditionnellement privilégiés de jeu et de communication avec le public.
À leurs côtés, Eve-Maud Hubeaux retrouve l’esprit de son personnage d’Armida dans Rinaldo à travers une Cornelia intrépide et fièrement romaine, en proie à la rage et aux sanglots, tenant frontalement tête à Tolomeo et aux avances d’Achilla. La richesse de couleur de son timbre alliée à une finesse exquise dans le jeu (Traditor ! Io manco, io moro entre haine et sanglot) fait de chaque intervention de la mezzo un moment fort de l’intrigue. Son fils Sesto est incarné par Ann Hallenberg. La voix, pleine d’éclat et de brillant, cherche constamment une élégance et la beauté du chant legato dont profite le magnifique duo Son nata a lagrimar avec la mezzo, mais qui peut paraître plus sage dans sa quête de la vendetta.
À l’esprit de tempérance, à l’homogénéité et à la droiture du chant de César s’oppose manifestement le Tolomeo de Kacper Selążek. Le contre-ténor polonais campe un personnage instable, impulsif et cruel, que dévoilent une gestique et une mimique théâtrales appréciées (notamment lors des apartés dévoilant son esprit machiavélique). La voix s’empare de ces traits et laisse entendre un timbre plus granuleux que son confrère, appuyée sur une technique et une projection qui donnent corps et crédibilité à son personnage. Entendu récemment à Versailles dans Benvenuto Cellini, le baryton Ashley Riches prend à bras le corps le rôle d’Achillas pour délivrer ses conseils malfaisants et mener ses avances envers Cornelia. La voix montre un certain enrobé, un vibrato large et ample ainsi qu’une projection idéale faisant la part belle aux médiums et aux basses du chanteur (les chutes octaviées, points d’orgue forçant le respect, à côté de vocalises ronronnantes). Trop souvent forte en nuances comme en expression, le ton parfois monolithique (en serviteur du Roi comme en homme épris de Cornelia), il gagne en complexité à la fin de l’ouvrage par un chant legato plus décharné et sincère.
Ce Jules César est couronné par un succès public que visera à réitérer le Festival d’Ambronay ce samedi 28 septembre.