À l’écoute de la relève : concert d’ouverture 2019/2020 à l’Académie de l’Opéra de Paris
L’Académie de l’Opéra de Paris a pour vocation de permettre aux jeunes artistes,
instrumentistes, chefs de chant et chanteurs ainsi qu’aux
artisans, une insertion professionnelle au contact d’une maison
d’opéra. À travers
des récitals, la réalisation de productions et l’opportunité de
participer aux opéras de la saison, les académiciens se
familiarisent avec les exigences de leur métier et apprennent au
contact des plus grands noms de la scène lyrique (la structure a
ainsi permis de révéler de nombreux artistes aux carrières
internationales).
Ce concert d’ouverture 2019/2020 agit comme une présentation de classe où le public découvre les jeunes artistes qu’il va pouvoir reconnaître et suivre ensuite toute la saison durant (et davantage). La qualité du concert se souligne d’autant plus que la plupart des musiciens ont rejoint l’Académie début septembre (sur les onze solistes vocaux de cette promotion, huit intègrent le programme cette année -et une douzième place reste à pourvoir : avis aux amateurs, les auditions ont lieu toute l'année).
La première partie du concert est consacrée à Mozart et offre un montage d’extraits de La Flûte enchantée, adaptée pour neuf instruments à cordes (ceux de l'Académie) et piano. Rémi Chaulet, chef de chant, est à la baguette, et la mise en espace est signée par Pascal Neyron, académicien-metteur en scène. Dès l’ouverture, se remarque la cohésion de l’énergie ainsi que la complicité musicale des instrumentistes, soulignée par les regards attentifs et les sourires échangés.
Poursuivi par un invisible serpent, le Tamino de Tobias Westman entre en premier sur le plateau. La puissance vocale que le ténor suédois déploie intelligemment dans Zu Hilfe! (À l'aide) se fait toutefois poussive dans les aigus de "Dies Bildnis ist bezaubernd schön" (Ce portrait est un ravissement), aux dépens de l’homogénéité des nuances. La mise en espace ne rompt pas tout à fait les codes du récital, Tamino comme les Trois Dames (Ilanah Lobel-Torres, Marie-Andrée Bouchard-Lesieur, et Ramya Roy), démontrant une certaine raideur dans le jeu scénique. Alexander York est un baryton américain et un Papageno discret, offrant un "Der Vogelfänger bin ich ja" (Oui, je suis l'oiseleur) vocalement bien conduit mais sans l’espièglerie de l’oiseleur (il demeure figé dans une gestuelle répétitive distante du public). Son expressivité est plus présente dans le duo "Bei Männern, welche Liebe fühlen" (Un homme qui ressent l’amour), qu’il chante avec Kseniia Proshina (Pamina). C’est ici que transparaît l’écoute permanente qui lie tous les musiciens, point fort de cette soirée. Rémi Chaulet est particulièrement attentif au phrasé et aux intentions des chanteurs, y compris lorsque ceux-ci se situent derrière lui. Les regards, les respirations, le mouvement des corps, tout témoigne d’une grande connivence musicale. Kseniia Proshina (soprano russe) conclut avec un "Ach, ich fühl’s" (Ah, je le sens) d’une très grande délicatesse, soulignant son aisance vocale dans le registre aigu, y compris dans les pianissimi. La rondeur de sa voix et sa technique précise lui permettent d'incarner une Pamina touchante.
Le programme Mozart se termine (avant un petit bonus dans la partie suivante) par la Sérénade n°13 « une petite musique de nuit », interprétée par l’orchestre à cordes. Menés par le premier violon, Julius Bernard, les instrumentistes se donnent corps et âmes pour leur musique et offrent une palette de nuances pleinement ciselée.
La deuxième partie de la soirée propose un répertoire plus varié, où chaque chanteur peut s’épanouir dans l’écriture vocale qui lui correspond, accompagné du seul piano. Ilanah Lobel-Torres, dont la voix légère peine à assurer le registre grave, oublie la sensualité espiègle de Suzanna au centre de "Deh, vieni non tardar" (Les Noces de Figaro, Mozart). La complicité qui anime Lakmé et Malika dans le duo des fleurs ("Viens Malika", Lakmé, Delibes) s'étiole dans sa proposition jointe à Ramya Roy. Les deux chanteuses se regardent peu et s'appuient davantage sur la qualité de leurs timbres que sur l'expression du caractère intimiste de l'écriture textuelle et vocale. Ce défaut de jeu se retrouve plus tard chez la soprano Liubov Medvedeva, dont le timbre flûté fait preuve d’une agilité et d’une virtuosité dans les vocalises de "Non si dà follia maggiore" (Le Turc en Italie, Rossini), sans cependant les diriger par une émotion incarnée et vécue. L'apprentissage de la scène par la scène, l'un des grands axes de l'Académie, permettra à ces jeunes chanteuses d'habiter plus assurément le plateau et donc de donner une dimension nouvelle à leur art.
Seul contre-ténor de la promotion et le premier de cette tessiture à rejoindre l'Académie, le vénézuélien Fernando Escalona met une énergie combative dans son "Venga pur, minacci" (Mitridate, Mozart), qui l’emporte parfois sur sa technique, le vibrato rompant l’homogénéité de l’émission.
Le ténor sud-coréen Kiup Lee s’impose dès son entrée en scène dans une cadence martiale, tout comme il répond sans faillir à l’exigence et à la virtuosité de l’air de Tonio ("Ah ! Mes amis", La Fille de régiment, Donizetti), sans se départir de son caractère joueur et d'une diction remarquée.
Cette attention au lien entre jeu et chant se retrouve chez la mezzo française Marie-Andrée Bouchard-Lesieur qui propose une Balkis très lyrique et pleine de flamme ("Plus grand dans son obscurité", La Reine de Saba, Gounod). Sa voix, à l’étroit dans le petit amphithéâtre de Bastille, résonne d'un potentiel wagnérien.
La mezzo-soprano indienne Ramya Roy et le baryton français Timothée Varon s’emparent du plateau sous les traits de Rosina et Figaro ("Dunque io son", Le Barbier de Séville, Rossini). Ramya Roy se distingue par un timbre chaud et soyeux qui donne une élégance dans son chant jusque dans les notes les plus graves. D’abord réservée dans son incarnation, elle est entraînée par le charisme de son partenaire, Timothée Varon, qui lie musique et jeu scénique avec aisance, donnant toute leur saveur aux rebondissements comiques du duo. Il démontre un grand contrôle vocal qui lui permet d'assumer avec brio les vocalises qui maillent les échanges des personnages.
Le concert se termine en apothéose sentimentale avec le quatuor de l’acte III de La Bohème de Puccini, cette fois accompagné par l’orchestre à cordes et le piano. Si Andrea Cueva Molnar était une Comtesse effacée ("Porgi Amor", Les Noces de Figaro, Mozart), elle se libère en Mimì, emportée par la présence vocale naturelle de son Rodolfo, Kiup Lee. Elle porte les envolées dramatiques vers les aigus avec assurance, révélant toute la puissance et la rondeur de sa voix. Le duo d’amour souligne l'alchimie des deux chanteurs et ouvre la voie à une grande expressivité émotionnelle qu’exige la musique de Puccini. Timothée Varon et Kseniia Proshina forment une paire comique en parfait contrepoint, jeu et voix, sont intelligemment mis au service du caractère explosif de leurs personnages (Musetta et Marcello) : les rapides passages du registre aigu au registre grave ainsi que les interjections parlando sont assumés avec contrôle et élégance.
"Ci lasceremo alla stagion dei fiori" (nous nous quitterons à la saison des fleurs) : Rodolfo et Mimì quittent la scène par la salle, le concert se referme et la saison est ouverte pour l’Académie, accueillie par une ovation enthousiaste.