Concours Corneille 2019 : récital final et lauréats
Bethany Horak-Hallett se pose et se cambre légèrement en arrière, noble, digne, douce mais roide. Pourtant le premier son s'assied immédiatement sur un épais tapis de grave, montant en harmoniques aiguës comme s'envoleront ses vocalises, rapides et striées. L'accent britannique très léger et charmant s'anime d'une grande intensité dans le récité ("Mes yeux fermez-vous", extrait du Carnaval de Venise composé par André Campra) vers une ampleur sonore bouleversant visiblement le public ("Crude furie" du Serse de Haendel).
Suivant les recommandations et l'esprit du concours, chacune des quatre finalistes mêle répertoire italien et français au point d'offrir un mini-récital en forme de tour de chant. Les deux sopranos françaises font même en sorte que la prestation d'ensemble ressemble à la forme du détail : l'ensemble formé par leurs trois airs a la même forme, le même esprit que celui présidant à l'architecture interne de chaque air. Comme les scènes baroques enchaînent chacune aria-récit-aria, les interprètes placent un morceau central plus allant entre deux arias souples. Julie Roset rafle ainsi le second prix du jury, le prix du public et le prix jeunes talents visiblement et selon les témoignages en salle, davantage pour ses prestations aux tours précédents et notamment ses ornements en demi-finale. En ce dernier jour de compétition, la voix est très placée et articulée, mais l'intensité expressive se concentre davantage dans le regard avant d'être balayée par un sourire radieux, doux et presque constant. Les couleurs claires affinent une voix délicatement fruitée, agile et harmonieuse, conservant sa douceur caressante du grave à l'aigu sûr. Mais de fait, ses sommets endoloris ne convoquent ni nuances puissantes, ni frottement mélodique. L'assise soufflée ne lui permet pas -encore- de durcir son timbre.
"Bientôt à ce prix tes tourments vont finir" chante-t-elle, incarnant L'Amour (dans Orphée et Eurydice de Gluck), un air qu'interprète également -par le jeu du choix dans les morceaux imposés- Margot Genet. Cette soprano (qui vient de rejoindre le Studio de l'Opéra de Lyon) ouvre sa prestation avec "Quel prix de mon amour" (Médée de Charpentier) comme le fera la finaliste suivante. Margot Genet présente une voix en deux parties encore disjointes. Le médium disparaît sous des aigus déjà francs (lignes mélodiques d'emblée expressives tirées vers le haut et au caractère glorieux) sur des graves fulminants dans le chanté, aussi expressifs en parlando. Les écarts de note entraînent des écarts de justesse qui ont vocation à se transformer en frottements mélodiques maîtrisés pour servir l'expression. Ce contrôle dépend d'une matière vocale qui est déjà là dans la projection : la soprano prend la pleine mesure de l'acoustique, ses piani résonant aussi longtemps que ses inspirations expressives. Enfin, les puissants sommets de bravoures savent enchaîner sur un aigu velouté finement soulevé et voisé mais ferme, suivi mezza voce aussi intensément. L'entre-deux vocal est aussi au service d'une double incarnation : la folie meurtrière endolorie de Médée, l'ombre sombre d'Alcina.
Hannah de Priest, soprano américaine, offre la voix la plus aboutie et une incarnation déjà prête pour la scène. Sa grande expressivité vocale et scénique se déploie avec plénitude. Seul un soupir d'émotion finale relâche l'intensité nourrie au fil des deux airs. La voix se lance et s'élance, tout aussi intense et appuyée sur les tenues que les prestes vocalises. Avec un tel volume et abattage, les instrumentistes peuvent s'en donner à cœur joie en terme de virtuosité et de nuances. Sourire, moue, interaction avec les autres musiciens et le public, les réjouissant même lorsqu'elle ne chante pas, Hannah de Priest transforme même un bref trou de mémoire en une cadence alanguie.
Ces quatre finalistes auront chacune bénéficié d'une attention aussi active et bienveillante de la part de l'accompagnement instrumental que du jury. Parmi le sextuor de musiciens du Poème Harmonique, les deux altos, viole de gambe, basse de violon et clavecin sont entièrement concentrés sur la violoniste, comme celle-ci est concentrée sur la chanteuse, pour en relayer, inspirer, suivre et soutenir les moindres élans.
La présidente, à l'image de tout le prestigieux jury international (Vincent Dumestre, Damià Carbonell Nicolau, Alain Perroux, Christian Schirm, Ashley Solomon, Liudmila Talikova), Stéphanie d'Oustrac encourage les impétrants par une écoute bienveillante et une empathie constante, applaudissant les chanteuses dès leur entrée, saluant leur prestation, félicitant les lauréates, allant embrasser et saluer les finalistes, en rappelant "vous êtes toutes des gagnantes. Continuez".