Les filles aux cheveux de Lind, Hommage au "rossignol suédois" à Stockholm
Comme chaque année, 2020 offrira de belles et nombreuses occasions de célébrer des anniversaires : les créations d’œuvres telles que La Ville morte de Korngold, Les Planètes de Holst, La Valse de Ravel, Pulcinella de Stravinsky et Le Bœuf sur le toit de Milhaud datant de 1920, ou les premières représentations de La Walkyrie et Coppélia en 1870 et du Bourgeois gentilhomme en 1670, la disparition sur deux jours consécutifs des chefs d’orchestre John Barbirolli, Jonel Perlea et George Szell (1970), ou bien encore les naissances de deux rois de l’opérette viennoise (Franz Lehár et Oscar Straus), celle de Beethoven (1770) ou, hors de la musique classique, les centenaires de Ravi Shankar (sitariste indien) et Amália Rodrigues (la Reine du fado portugais), et des géants du jazz Charlie Parker et Dave Brubeck.
En Suède, l’année de 2020 sera consacrée au bicentenaire de Jenny Lind, la soprano belcantiste dont le visage fut gravé sur les billets de 50 couronnes jusqu’en 2016 (tandis que Birgit Nilsson est maintenant "valorisée" sur les billets de 500 couronnes). Dans le cadre du Baltic Sea Festival, la ville natale de la soprano suédoise lui dédie un concert, avec quelques morceaux de son répertoire, notamment du belcanto et du Mendelssohn (ami intime de la chanteuse), tandis que Les Brigands de Verdi (dont le rôle d’Amalia fut écrit pour elle) brillent par leur absence.
Le chef américain Evan Rogister se charge de diriger l’Orchestre Philharmonique de la Radio Suédoise ainsi que son chœur, qui contribue aux extraits du Songe d’une nuit d’été (la réponse thématique à l’ouverture d’Oberon au début du concert). Rogister parvient à unir dans une sonorité cohérente les musiques autrichiennes-allemandes-italiennes, même norvégiennes (par l’ajout quelque peu anachronique d’Edvard Grieg) et à l’instar de son Or du Rhin à Göteborg, il met en avant les contrastes principaux en déployant une pulsion rythmique et dramatique à travers des tempi réguliers mais pertinents. Toutefois, les mélodies belcanto ne chantent pas dans l’orchestre et sa mise en avant bienveillante laisse également dans l’ombre une abondance de détails, comme des effets théâtraux et comiques, les variations dans les passages répétés, ainsi que la texture polyphonique.
À l’affiche, deux sopranos habillées et coiffées pour ressembler à la cantatrice surnommée le « rossignol suédois ». Elin Rombo (appréciée à Paris dans Eliogabalo et à Stockholm avec Le Roi Roger) opère sa transition soprano vers de nouveaux rôles plus lourds. Ainsi ses interprétations de Norma et d’Elias trahissent-elles un timbre quelque peu rauque et un léger malaise face aux coloratures, qu’elle rend dans des phrases relativement courtes mais avec un abord résolu. En revanche, elle enthousiasme le public en valorisant l’émotion fragile au lieu des démonstrations d’un phénomène vocal "de foire" (Jenny Lind ayant été l’une des grandes vedettes du Cirque Barnum). Rombo s’y trouve toutefois davantage dans son élément avec l’aria de Donna Anna ("Or sai chi l’onore"), qui lui permet de déployer son nouveau dramatisme vocal en cours d’élaboration. Cela dit, un chant moins couvert et plus ouvert dans le haut registre augmenterait encore la projection et le tempérament explosif de son chant, ainsi que la prise de risque nécessaire pour dépasser les limites du beau-chant.
Annie Ternström (née l'année où le prestigieux prix Jenny Lind fut décerné à Rombo) est reçue comme révélation de la soirée, elle qui interprète l’aria d’Elvira (de l’acte II des Puritains) et la romance de l’héroïne-titre de Martha. Sa façon de moduler la couleur des notes tenues entretient l’intensité du moment et l’écoulement chaleureux de ses belles phrases équilibrées sur toute la tessiture témoigne d'une maîtrise impressionnante de son instrument expansif au timbre riche et clair.