Meurs un autre jour : Werther à Covent Garden
La production se porte toujours fièrement, à la fois sobre et épurée, tout en injectant sur scène des moments de beauté esthétique et de signification dramaturgique. Le mur envahi par la végétation indique bien plus que la limite du jardin du Bailli (mais aussi l'invasion des sentiments et bourgeonnements passionnels). Les saisons, si importantes pour le livret de Blau, Milliet et Hartmann, défilent avec une clarté convaincante, notamment le deuxième acte automnal. La scénographie laisse beaucoup d'espace aux artistes pour chanter, et offre le plaisir rare de pouvoir entendre les ensembles complexes de Massenet sans éléments scéniques étrangers sur le plateau. La seule exception est la scène d'ouverture, où les enfants du Bailli semblent poussés à la frénésie de mouvements et de lignes vocales (certes, Massenet marque leur musique dans la partition "avec brusquerie, très fort et sans nuances").
Pour beaucoup de spectatrices et spectateurs, la présence de Juan Diego Flórez est une attraction particulièrement magnétique dans cette représentation. Interprète chevronné, du rôle (pris en 2016 en concert au TCE) comme des lieux, le ténor a une cohorte d'admirateurs acquis à sa cause. Ils sont toutefois rejoints par le reste de l'assistance devant ce Werther, fort jusque dans les passages piano accompagnés d'une orchestration squelettique. Le phrasé subtil et l'articulation élégante se couplent à une large gamme de couleurs de bas en haut, maîtrisés jusque dans de longs prolongements pianissimo. Toutefois, la voix court le risque d'être dominée par certains des moments culminants de l'œuvre, et elle disparaît presque lorsqu'il chante "ma tombe peut s'ouvrir !" à la fin de l'ouvrage.
Aux côtés de Juan Diego Flórez, Jacques Imbrailo démontre de nouveau avec le rôle d'Albert, ses affinités pour les personnages sympathiques. Tout juste sorti de son récent triomphe dans le rôle-titre de Billy Budd, il offre une nouvelle lecture compatissante (de cet être pris dans un piège social et émotionnel qu'il n'a pas créé) magnifiant ses couleurs vocales et contrastes efficaces de ton comme de dynamiques. "Quelle prière de reconnaissance", juste avant l'intermède Clair de lune, semble tiré d'une masterclass dans l'interprétation de Massenet, pour sa diction, ses couleurs soigneusement contrôlées et ses phrasés élégants répondant à la prosodie du texte. Le rôle de Bailli, si important dans l'acte I, est tenu par Alastair Miles. Certains spectateurs auraient peut-être souhaité moins d'histrionisme et davantage de dignité pour ce personnage veuf, père de huit enfants, censé représenter le centre domestique autour duquel tourne la tragédie de Werther et Charlotte. Mais la voix chaleureuse s'allie à une aisance de vétéran scénique pour réjouir l'assistance et lui plaire.
La bien-aimée de Werther et sa sœur, Charlotte et Sophie, sont toutes deux interprétées par des artistes des États-Unis, et remarquées (qui ne font pas exception à une tradition nord-américaine de fort bien prononcer le français chanté). Heather Engebretson en Sophie a une voix légère, agile mais puissante qu'elle maîtrise dans son ingéniosité, si souvent chargée d'annoncer les mauvaises nouvelles ou de révéler par inadvertance des vérités inconfortables. Elle donne ainsi une épaisseur dramatique à un rôle qui pourrait rester secondaire (de bon augure pour la Zerbinetta de ses débuts à Copenhague). La Charlotte d'Isabel Leonard offre une de ces voix mezzo-soprano qui perd sa couleur plus sombre dans les registres supérieurs pour révéler une précision cristalline, en contraste délicieux avec ses graves voluptueux. Elle déploie cette gamme dans un contrôle plein et entier, sur des passages aussi étendus que la scène des lettres de l'acte III : elle y porte la théâtralité comme l'orchestre y porte la musique mémorable.
Seul français de la distribution, Vincent Ordonneau est l'un des amis de Bailli : Schmidt. Avec son collègue Johann (joué par Michael Mofidian), respectivement ténor et baryton-basse, ils proposent des interprétations subtiles à l'impact mesuré. Idem pour les apparitions nuancées et préparées de Käthchen et Brühlman, démontrant l'étendue du travail et surtout des perspectives pour Stephanie Wake-Edwards et Byeong-Min Gil.
Le chœur maison chante ses Noëls depuis les coulisses avec un plaisir communicatif, y compris pour l'orchestre. La direction d'Edward Gardner est pourtant appesantie, surtout en rapport au phrasé français.