Épure et contre-ut, Les Puritains ouvrent la saison à l'Opéra de Paris
Laurent Pelly, comme pour montrer un changement diamétral par rapport aux œuvres comiques qui ont fait sa réputation, place ce drame sur une scène épurée et sombre (bien loin de la robe rouge de Natalie Dessay dans Orphée aux Enfers, de l'orangé du Roi carotte, de Barbe-bleue la saison dernière, ou encore du vert grenouille dans Platée ainsi que des maillots de bains, transats et parasols multicolores de sa Belle Hélène). L'unique élément scénographique abritant ces Puritains est une architecture à l'os, sculpture en ferronnerie dont les lignes tranchées lui permettent de combiner les formes romanes, gothiques ou les simples ronds et carrés, à la fois château-fort, église, palais, chambres entièrement exposées aux spectateurs, cage enfermant les tourtereaux, prison enfin. Les costumes rappelant l'époque Renaissance dans les Flandres espagnoles avec leurs coupes sobres et tranchées même dans les plastrons, évoquent la dimension européenne de ce drame, inspiré par les succès internationaux des romans de Walter Scott.
Réduite à une tour (autre référence bien sombre aux contes de fées avec leurs princesses attendant le preux chevalier) et à un mur de cheminée avant de devenir un aqueduc d'escaliers, la structure est placée sur un plateau tournant de temps en temps. Tout aussi épisodiquement et au fil de la soirée, les lieux et costumes sombres sont éclairés par des changements de lumières halogènes tamisées. Une épure qui contraste profondément avec le bel canto offert par la musique.
Bel cantiste dès l'ouverture, tirant un legato pour l’alterner avec des rythmes très précisément placés, une riche et souple palette de couleurs et dynamiques, l'Orchestre montre d'emblée ce que son chef Riccardo Frizza revendiquait dans notre interview : le respect de la ligne de chant, l'inspiration des voix. Pour ce faire, le maestro prouve une constante et immense attention au plateau vocal, leur donnant chaque accent et intention, les inspirant par sa fosse où les lignes des vents tournoient et où la noblesse élégante des cuivres se place sur la délicatesse des percussions. Même les roulements de tambours guerriers situés en stéréophonie inspirent les différentes tessitures vocales.
Ainsi rythmé et legato, le ténor Javier Camarena, par le déploiement de son bel canto, unifie ses interventions en deux immenses épisodes lyriques. Assuré dès sa première entrée, du grave au suraigu, son premier silence soulève des vagues de bravi. La longueur et la richesse de son souffle lui permettent d'enrichir la ligne en cours de phrases, et même en cours de note aiguë. Il en ravive les couleurs et l'amplitude après avoir animé la ligne par des retards mélodiques et divers accents expressifs, avant des reprises de mélodies plus suaves encore. Preuve de la plénitude de sa ligne vocale, le public acclame aussi bien son air sans suraigu de bravoure et ne lui tient aucune rigueur après les deux déraillements qui remplacent son contre-fa, le ténor ayant eu le panache de tenter cette note (réputée comme la plus aiguë jamais écrite dans tout le répertoire), bien qu'agenouillé par la mise en scène et la douleur d'Elvira.
Une douleur et une folie dans laquelle ce personnage pris par Elsa Dreisig est plongé de bout en bout, pour ne jamais les quitter. Courant ou titubant tout au long de la soirée, pour aller se tordre de douleur, se prendre la tête entre les mains, sauter sur son lit en jetant un oreiller, faisant un cerf-volant de son voile de mariée ou bien effeuillant sa couronne nuptiale (symbole de son hyménée flétri), elle est d'emblée plongée dans des affres d'une telle intensité qu'elle ne peut donc pas les faire croître au fil des péripéties. Cela rend certes d'autant plus poignant son grand moment d'immobilité (rendu visible à travers les barreaux de sa chambre cage), lorsque telle la poupée mécanique Olympia des Contes d'Hoffmann, elle est décorsetée et recorsetée en robe de mariée par ses servantes, alors même que son Arturo s'enfuit. L'intensité en sort renforcée dans son médium grave, mixant le chant expressif avec la parole poitrinée. Mais l'aigu se fait serré, parfois perçant, le suraigu est raccourci, le médium-aigu (qui contribuerait à unifier les registres) passe en retrait. Cependant, les quelques moments de douceurs (lorsqu'elle a basculé pour de bon et est résignée dans la folie ou lorsqu'elle devient nostalgique) caressent une suave voix infantile et colorée.
Nicolas Testé campe un Sir Giorgio très paternel, seyant pour ses relations avec chacun des autres personnages, comme pour sa voix phrasée avec douceur, allégeant les graves comme les aigus, prenant le temps d'articuler. À l'inverse, l'antagoniste Sir Riccardo Forth a la voix intense et très marquée d'Igor Golovatenko. Ayant le souffle long, il peut volontairement jouer l’essoufflement en fin de phrase pour resserrer son intensité vocale et sa rage jalouse. Rondement articulé mais un peu hautain, ce dernier effet prend le pas sur l'homogénéité vocale de ses arias (en faisant déraper ses ornements). D'autant qu'il conserve un caractère toujours sombre, même quand il doit jouir du plaisir de laisser fuir son rival Arturo ou lorsqu'il est censé pleurer devant le sort d'Elvira et les recommandations de l'oncle Giorgio.
Gemma Ní Bhriain (récemment appréciée pour son retour maison en récital) entre avec sa voix ample dans le rôle royal mais petit d'Henriette de France. Son mezzo est frontalier : entre les graves moirés et des aigus brillant légèrement, elle passe difficilement la fosse mais rend ainsi la peur de la souveraine condamnée à mort. Le puritain Sir Bruno Roberton interprété par Jean-François Marras (lui aussi passé par l'Académie de l'Opéra de Paris), encourage les guerriers de Cromwell par une voix striée au vibrato rapide, qui décroche quelque peu.
Enfin, Luc Bertin-Hugault interprète le père de l'héroïne, mais son rôle (Lord Gualtiero Valton) est infiniment moindre que celui de son frère (qu'Elvira voit comme un père) et il doit donc s'en acquitter avec une certaine discrétion vocale, notamment dans le volume, ce qui n’entame pas son articulation.
Le chœur masculin marche et chante au pas, mais se décale quand ses mouvements ne sont plus martiaux (quand ils ne donnent pas de grands coups avec leurs hallebardes ou ne font pas les cent pas d'un bout à l'autre du plateau, par exemple). Les femmes tournoient davantage, sur la scène et dans leurs robes, amples comme leur timbre dense.
Les artistes sont chaleureusement applaudis, avant que plusieurs huées ne se fassent entendre pour Laurent Pelly et son équipe.
Réservez ici vos places pour cette production, donnée à Bastille jusqu'au 5 octobre