Wagner, Ravel et Bartok en ouverture de saison à la Philharmonie de Paris
Les
quatre œuvres
présentées figurent déjà
toutes au répertoire de l’Orchestre de Paris et apparaissent au
programme dans leur ordre chronologique de création (1850 pour
Lohengrin
et 1862 avec
les Wesendonck Lieder
de
Wagner, 1912 Daphnis
et Chloé Suite d’orchestre n°2 de
Ravel et 1944 le
Concerto pour orchestre de
Bartók), illustrant un siècle de création musicale en Europe.
L’univers musical de ces trois compositeurs, et notamment la façon
qu’ils ont de faire émerger la musique du silence, s'impose sous
la baguette virtuose et sensible de Karina Canellakis. Le
Prélude
de l’acte I
de Lohengrin
point
ainsi
du
silence dans l’aigu enveloppant des violons, créant un effet
hypnotique, le mystère du début du Concerto
pour orchestre émanant des tréfonds, dans le grave aux violoncelles et contrebasses alors
que Ravel fait tournoyer les bois, créant un matériau sonore
ondoyant.
La gestique souple et continue de la jeune cheffe conduit le phrasé ample des lignes wagnériennes et accompagne les crescendi chez Ravel comme chez Bartók jusqu’aux climax accueillis les bras grands ouverts. Elle excelle à insuffler l’ampleur du legato et l’intensité dramatique qu’elle nourrit sur chaque son et qu’elle conserve même dans les passages plus rythmiques, rendant nostalgiques les danses aux couleurs magyares dans la pièce de Bartók. Attentionnée à l’équilibre de la masse orchestrale, elle révèle l’Orchestre de Paris dans une splendeur sonore, avec la richesse d’individualités virtuoses et sensibles.
Le Chœur de l'Orchestre de Paris participe également à ce lancement de la nouvelle saison avec une brève et surprenante apparition dans la Suite d’orchestre n°2 de Ravel, pièce normalement uniquement instrumentale. Apportant une couleur supplémentaire à la riche palette ravélienne, cette intervention rappelle que cette suite est issue de la musique de scène Daphnis et Chloé pour orchestre et chœur sans paroles.
La soprano Dorothea Röschmann rejoint l’orchestre pour interpréter les Wesendonck Lieder que Wagner composa sur des poèmes de Mathilde Wesendonck dont il était alors éperdument amoureux. La composition de ce cycle se situe au moment de la genèse de Tristan comme en témoigne l’indication « étude pour Tristan et Isolde » en en-tête de deux Lieder (Im Treibhaus et Träume) et, bien que composé initialement pour voix et piano, l’ampleur vocale requise par ces Lieder reste conséquente. Dorothea Röschmann, dont la voix s’est considérablement développée ces dernières années, en possède la couleur et la rondeur idoines. Son timbre richement vibré et résonnant épouse la plénitude du phrasé que n’entrave pas même un souffle court, l’obligeant à respirer fréquemment. Très scrupuleuse dans sa volonté de faire entendre le texte, elle différencie les voyelles dans une grande ouverture de bouche et s’appuie fortement sur les consonnes. Si elle s’épanouit dans les forte dramatiques (Glorie der düstern Welt-Gloire du monde obscur), elle peine en revanche à émettre de la suavité et, dans Im Treibhaus-Dans la serre, alors que l’orchestre effectue des montées s’amenuisant délicatement, la soprano demeure sur une nuance soutenue voire accentuée. Toutefois, elle colore son chant de sons plus ou moins vibrés (zeugende Kraft-force créatrice) ainsi que de sons poitrinés assumés (Dass, wo bang ein Herz in Sorgen-Ainsi, quand un cœur en peine) et parfois même abrupts (Schwere Tropfen-lourdes larmes). Bien que postée derrière un pupitre, elle s’adresse continuellement au public qui accueille chaleureusement sa prestation.