Festival d’Innsbruck, la virtuosité dans tous ses états
Artistes débutants, stars internationales, formations diverses et variées défilent ainsi tout au long de l’été afin de régaler le public selon des modalités toujours renouvelées : lunch-concerts, programmes thématiques, concerts-surprises, etc. Dans cette offre si généreuse, les concerts de la flûtiste Dorothee Oberlinger et de la soprano Julia Lezhneva auront tous deux enchanté le public du festival.
Les deux programmes ne manquent pas de dénominateurs communs, avec comme élément central la présence de la musique de Vivaldi. Deux concertos pour flûte à bec pour le concert de Dorothee Oberlinger, auxquels s’ajoute une sonate pour deux violons et basse continue interprétée par les musiciens de l’Ensemble Castor placés sous la direction de la violoniste Petra Samhaber-Eckhardt. Trois airs d’opéra pour le programme concocté par Julia Lezhneva : "Agitata da due venti" (Prise entre deux vents) de La Griselda, "Zeffiretti, che sussurrate" (Petits zéphirs, qui susurrez) d’Ercole sul Termodonte et "Sposa, son disprezzata" (Comme épouse, je suis méprisée) de Bajazet. À cela, se joignent deux concerti, le concerto pour luth joué par Luca Pianca en personne, ainsi que le concerto pour violon interprété par Dmitry Sinkovsky, l’enfant terrible de la musique baroque, violoniste, chef d’orchestre et contreténor. Le nom de l’ensemble créé par l’artiste, La Voce strumentale, rend d’ailleurs hommage à cette heureuse polyvalence.
Le programme de Dorothee Oberlinger est complété par une série de pièces de compositeurs italiens (Corelli, Torelli, Giovanni Maria Bononcini, Francesco Mancini, Francesco Manfredini), le concept du concert revenant à alterner des pièces d’inspiration sacrée destinées à susciter ou à prolonger la méditation (la sonata da chiesa de Manfredini, par exemple), et d’autres au caractère plus séculier, voire carrément enjoué : une belle découverte, les danses Schiarazula Marazula (termes frioulins intraduisibles) et Lavandara Gagliarda (Lavandière gaillarde) du compositeur Giorgio Mainerio respectivement jouées à la flûte basse, puis sopranino. Les pièces vocales choisies par Julia Lezhneva puisent dans le répertoire courant de la jeune cantatrice russe, dont la réputation s’est construite sur sa redécouverte de plusieurs opéras de Graun et de Porpora, Haendel est retenu pour la fin du concert avec le brillantissime "Brilla nell’alma" (Brille dans mon âme) d’Alessandro.
L’autre dénominateur commun aux deux concerts est constitué d’une virtuosité ébouriffante, non pas pour épater le public par une exhibition gratuite mais, au contraire, pour démontrer les possibilités expressives de la musique. Si la flûtiste fonde son programme sur l’analogie entre le son de la flûte à bec et le chant de l’oiseau (ce n’est pas pour rien que le concert s’achève sur le concerto de Vivaldi dit Il gardellino-Le chardonneret), la soprano, dans son choix de différents arie de paragone (airs de comparaison) de l’opéra baroque italien, donne une démonstration de chant dans l’art de l’imitation des éléments naturels : déchaînement de la mer, murmures de l’air, susurrements du vent, etc. Un parallèle s'établit également entre le relatif manque de puissance des différents instruments utilisés, autant pour la voix de Lezhneva encore limitée en volume que pour l’ensemble des flûtes à bec (sopranino, soprano, alto, basse) utilisées par Oberlinger. Pour la flûte comme pour la voix, la musicalité prime sur la puissance.
La virtuosité des deux interprètes demeure époustouflante, autant pour la tenue du souffle que pour la qualité des articulations. Si la précision des vocalises de Lezhneva est d’une maîtrise quasiment instrumentale, presque mécanique, la flûte d'Oberlinger sait également "chanter" dans les mouvements lents de sa pièce. Le passage à la flûte alto pour le cantabile ("chantant", justement) du concerto Il Gardellino est à cet égard particulièrement heureux. Peut-être manque-t-il encore à la jeune Lezhneva la capacité qu’a sa collègue à colorer davantage sa ligne, propriété qui fait encore défaut à un chant, aussi accompli soit-il. Un des moments forts de la soirée, l’interprétation du "Zeffiretti, che sussurrate" permet au contreténor Dmitry Sinkovsky de faire écho depuis la coulisse au chant de sa soprano, montrant également les différences de possibilités dans l’art de la coloration vocale.
Visiblement émue par le triomphe que lui réserve le public, Julia Lezhneva gratifie son assistance de cinq morceaux hors-programme, dont deux duos de Haendel, extraits de Tamerlano puis Giulio Cesare, chantés avec Dmitry Sinkovsky. Le dernier bis, le désormais incontournable "Lascia la spina" (Laisse l’épine), chanté avec pour seul accompagnement le luth de Luca Pianca, plonge la salle dans le recueillement absolu. Avec tant de jeunes interprètes talentueux, la musique ancienne a décidément de beaux jours devant elle.