Création française des Vêpres de la Vierge de Cozzolani au Festival de Sablé-Sur-Sarthe
Si le village sarthois de Brûlon se vante d’être le « berceau de la communication moderne » (la première ligne de télégraphe y fut installée en 1791), il peut désormais rajouter à son palmarès le fait d’avoir entendu pour la première fois en France une œuvre tombée dans l’oubli, écrite par la religieuse bénédictine Chiara Margarita Cozzolani (1602-1677). Pour cette occasion historique, l’église de Saint-Pierre et Saint-Paul accueille l’ensemble I Gemelli de Genève fondé en 2018, spécialisé en musique de Seicento (XVIIe siècle), pour l’œuvre qui fait également l’objet de leur premier (et jusque maintenant, unique) enregistrement au disque.
Ces Vêpres dédiées à la Vierge Marie offrent une partition très diversifiée et abondante, d’une part en extraits hautement exigeants en termes de bravoures techniques (qui ne concernent pas uniquement les solistes, mais parfois l’ensemble entier) et de l’autre, des passages ornés à la sentimentalité accentuée (le caractère contemplatif est absent des prières). En outre, l'œuvre est riche d'une multitude de textes (hymnes, motets dont un à huit voix, psaumes et un magnificat), ainsi que de combinaisons vocales, telles les solos, duos, trios ou ensembles, avec accompagnement léger ou plus étoffé. Initialement pensé pour des voix féminines de couvent, cette version pour chœur mixte et orchestre représente donc une création adaptée à l’oreille contemporaine.
Le fondateur et Directeur musical de la phalange, Emiliano Gonzalez Toro, assure cet après-midi un triple rôle, celui de soliste, choriste et chef d’orchestre. Et s'il n’est pas inhabituel que les chefs soient aussi des interprètes dans les ensembles de musique ancienne, son choix de diriger ainsi tourné vers le public (depuis le chœur) représente pourtant une singularité. Le ténor suisse-chilien opte pour des gestes simples et précis mais qui sont toujours au service de l’interprétation musicale. En complément, son chant est plein d'un feu vocal, manifestant en permanence son irréprochable maîtrise technique. Il exploite pleinement la tessiture médiane, mais se révèle souverain dans les passages au diapason supérieur. Pour le motet « O Maria, tu dulcis » (« Ô Marie, douce ») où il se présente comme soliste, sa voix est bien projetée dans le forte et très tendre dans les piani, renforçant cette expressivité de la partition par de nombreux soupirs.
Les Vêpres accordent une place centrale à deux sopranos par trois motets où elles s’associent en duo. Alicia Amo arbore un timbre doux et clair qui se conjugue avec un phrasé soigné, dévoilant son âme de musicienne. Elle prend soin de tous les détails et ornements musicaux propres à l’exécution historiquement informée, ainsi que de la prononciation du latin. Son homologue Natalie Perez articule attentivement le texte liturgique avec une interprétation très colorée qui donne de la chaleur aux jeux imitatifs avec les autres voix ou instruments (surtout les violons). Elle se montre très précise dans les attaques des notes aiguës et dans les vocalises nécessitant une longueur de souffle. La contralto Anthea Pichanick dévoile une vaste palette de nuances dynamiques dans son numéro soliste (Concinant linguae-Que les langues proclament). L’ensemble de son étendue vocale est exploité, notamment le registre central qui lui permet de s’épanouir musicalement. Elle chante souvent en paire avec l’autre contralto, Pauline Sabatier, qui ne réussit pas à se démarquer du volume sonore du chœur.
Côté masculin, le ténor Anders J. Dahlin suit de près Emiliano Gonzalez Toro dans les passages virtuoses et offre un chant assez animé par sa couleur claire qui s’appuie en outre sur des graves stables. Victor Sicard (le baryton) est pertinent dans ses exploitations du registre bas et, par son timbre charnu, il complète la voix ronde de basse de João Fernandes qui, malgré ses qualités d’intonation, n’a pas les vocalises et l'élasticité vocale à la mesure de ses collègues (ce qui parfois nuit à la justesse du ton).
Cette création est très chaleureusement saluée par l’auditoire de l’église brûlonnaise.