Aïda à la belle étoile aux Soirées Lyriques de Sanxay
Saison anniversaire pour les Soirées lyriques de Sanxay qui célèbrent leur 20ème été. Créées en 1999 à l’initiative de Christophe Blugeon, Directeur artistique du Festival, et portées par plus de 150 bénévoles (lesquels conçoivent costumes et décors), elles présentent chaque année une grande œuvre du répertoire (Carmen, Nabucco, La Traviata, La Flûte enchantée, etc.) plusieurs soirées durant au théâtre gallo-romain de Sanxay, dont les vestiges, à l’instar du Théâtre antique d’Orange, servent d’écrin lyrique. Engagées pour la démocratisation de l’opéra et son ancrage dans le monde rural, elles montrent également une exigence artistique forte, et se trouvent rattachées aux noms d’Anna Pirozzi, Olga Pudova, Marianne Crebassa ou encore Florian Sempey, invités de précédentes éditions. En accord avec une intention d’ouverture du grand répertoire au plus grand nombre, c’est Aïda, déjà présentée en 2009, qui se dévoile cette année aux quelques 6000 spectateurs attendus (en cumulé au fil des trois représentations) du parterre aux gradins naturels sur l’herbe, en haut du théâtre.
Classique et juste, la production de Jean-Christophe Mast répond à l’orientalisme de l’œuvre sans tomber dans le kitch ni un faste zeffirellien. Les colonnades soutiennent l’architecture globale du drame et arborent de nombreuses significations au sein d’un espace symétrique. Au premier acte, Amnéris se positionne devant le pilier central (au milieu de la scène), figure royale marquant à la fois la rupture géographique dans le livret (entre Égypte et Éthiopie) et la séparation des deux amants, disposés de chaque côté de la scène. Mobile, ce pilier dévoile sa face cachée à l’Acte II pour montrer une gigantesque statue de Ptah, augurant les premières harmonies des harpes, les prières du chœur et les invocations de la Grande Prêtresse. Refermés, deux d’entre eux forment les murs de la crypte où Aïda et Radamès se retrouvent. Ces colonnades s’associent aux escaliers, dont l’utilité pratique (la spatialisation du chœur) comme symbolique (la représentation des hautes figures du pouvoir) est très efficace. Loin des dorures et de l’enfermement final, l’Acte III est particulièrement rafraîchissant, la scène assez dépouillée et habillée de hauts feuillages (où se cache Amonasro), devenant un espace poétique propice à l’ampleur du Patria Mia d’Aïda et des confessions à venir.
Les costumes de Jérôme Bourdin, tout aussi classiques, s’associent aux lumières réfléchies de Pascal Noël (des éclats solaires après la victoire de Radamès jusqu’au tamisé de la crypte, en passant par le cyan) pour créer des incarnations jointes à une scénographie travaillée où les déplacements sont naturels et signifiants.
Une distribution homogène porte l’ouvrage, appuyée par le trio Elena Guseva—Irakli Kakhidze—Olesya Petrova. La première, qui vient d’incarner Aïda au Staatsoper de Vienne, montre, outre un engagement scénique notable et nécessaire pour ce rôle, une palette de couleurs dans la voix qu’elle manie avec finesse (au fil des « pietà » qui essaiment la partition) et la pleine mesure de sa projection. Les fortissimi sont larges et assurés, les piani d’une voix au timbre de soie (« Dio », « Amor fatal ») jusqu’aux sauts d’octaves risqués alors murée avec Radamès. Elle trouve en Amnéris une rivale de choix (Olesya Petrova). La mezzo, qui incarne ce rôle depuis plusieurs années (au Metropolitan Opera dernièrement avec Domingo à la baguette), montre sans surprise une prestation vivement appréciée. La complexité du personnage (nullement limité à la figure de tortionnaire) est rendue par une voix d’une grande richesse de timbre, la suavité amoureuse des premiers instants (le « s » de « speranze » légèrement appuyé, tel un soupir) montre un aigu sopranisant, précédant une fureur implacable contre son esclave dont s’habille la voix, les médiums courroucés flattant la portée de sa tessiture. Et de se faire suppliante à l’annonce de la condamnation à mort de Radamès en des fortissimi expiatoires et pris de sanglots.
Fin de saison verdienne pour Irakli Kakhidze. Après Manrico et Don Carlos au Théâtre National de Mannheim, le ténor incarne ici un Radamès de fer au gant de velours. Le chanteur montre une application notable à incarner le capitaine égyptien à la quinte aigüe claironnante (« Io degli Egizi duce sarò ») et au si bémol aigu bien portant. L’héroïsme reste toutefois retenu par une voix d’une grande fluidité qui manque parfois d’aspérité. Aussi se montre-t-il meilleur amant que guerrier, et se révèle-t-il dans l’Acte III, où la confusion du personnage, partagé entre l’amour d’Aïda et de sa patrie, l’amène à gorger sa voix et son jeu d’un lyrisme appuyé jusqu’au fougueux « Fuggiamo ».
Par ailleurs, Vitaliy Bilyy en Amonasro montre une souplesse remarquée, parcourant sa tessiture comme la scène, avec grande aisance. L’attaque est précise, le son capture l’attention. Cela le rend particulièrement redoutable lors de son duo avec Aïda (« Non sei mia figlia! ») où, bouillonnant, son pouvoir régalien semble pleinement retrouvé. In-Sung Sim tient son rôle de Ramfis avec crédibilité et préserve tout au long de la représentation une projection notable malgré le plein air. Le Roi de Nika Guliashvili se fait plus discret mais conserve une stature royale dans la rondeur de ses basses.
Les Chœurs des Soirées lyriques de Sanxay se montrent bien imprégnés de l’esprit de l’œuvre mais restent cependant imprécis et inégaux en justesse. Valerio Galli montre une direction raisonnée et sans esbroufe, attaché à souligner la complexité architecturale de l’œuvre aux côtés d’une phalange composée pour l’occasion de musiciens de tout l’Hexagone, où la ferveur commune du jeu n’empêche pas des disparités dans le rendu sonore.
L'équipe artistique est chaleureusement applaudie par un public enthousiaste et venu nombreux pour (re)découvrir ce chef-d’œuvre verdien.