Récital de Sondra Radvanovsky à Peralada : hommage et héritage de Montserrat Caballé
Sondra Radvanovsky arrive dans une robe noire à paillettes, sobre et élégante, accompagnée du pianiste Anthony Manoli. Elle aborde immédiatement le public avec décontraction et naturel, répondant amicalement à l'accueil chaleureux qui lui est fait. La soirée est dédiée à Montserrat Caballé. Sondra Radvanovsky explique en quelques mots l'admiration qu'elle porte à son aînée et précise que le choix du programme est à la fois une allusion au répertoire de la soprano catalane et une reprise d'airs qui ont eu une importance notable dans son parcours personnel.
Le concert s'organise en suivant une évolution quasi chronologique de la composition italienne, depuis le XVIIe siècle jusqu'au vérisme en passant par le belcanto : Gluck, Bellini, Donizetti, mais aussi et surtout Rossini, Verdi et Puccini. Programme italien donc, principalement de mélodies. Mais c'est aussi le parcours de Sondra Radvanovsky qui se lit ici : les mélodies extraites des "Arie Antiche" avec lesquelles elle s'est exercée étudiante, le cycle de Rossini qu'elle explique avoir chanté toute jeune, le bel canto dans lequel elle s'est fait un nom et les rôles véristes (réalistes) plus larges comme Manon Lescaut ou Lady Macbeth qu'elle aborde actuellement.
Les premiers morceaux, permettent à la chanteuse de tester sa voix mais surtout de présenter son timbre particulier, cette projection généreuse sans être jamais forcée, ce sens de la ligne qui n'est tenue que par le souffle et ce sentiment qu'aucune nuance n'est hors de sa portée. Si les premières mélodies mettent en appétit (avec le recueillement de la reprise piano de l'air de Gluck) c'est dans Bellini, plus lyrique, que la voix s'épanouit pleinement (notamment dans l'émouvante Ricordanza, reprise en mélodie de l'air d'Elvira des Puritains) accompagnée avec suavité par le piano d'Anthony Manoli, à l'écoute mais aussi capable de se mettre en avant quand la musique le demande. Un Verdi de jeunesse ("Non so le tetre immagini" du Corsaire), enregistré par Caballé, met en valeur la ligne et les piani de la cantatrice alors que la cabalette (petit air virtuose) de Roberto Devereux et La regata veneziana permettent à Sondra Radvanovsky de montrer son talent comique et sa maîtrise des vocalises (même si elle reste prudente).
Cependant l'adéquation entre la voix, le tempérament tragique et la technique apparaissent pleinement dans l'air de Manon Lescaut "Sola, perduta, abandonata" : la soprano aborde Puccini avec l'élégance du style bel cantiste mais aussi un engagement et une générosité vocale qui conquièrent le public.
Pour Lady Macbeth "Una macchia è qui tuttora", elle se permet une entrée sur la longue introduction du piano mais s'interrompt après quelques notes, visiblement incommodée. Elle explique alors, avec la franchise qu'elle a eue envers son public depuis le début du récital, qu'elle vient récemment d'être diagnostiquée asthmatique et qu'avec la chaleur de cette soirée espagnole, une crise est survenue. Après une légère interruption, la chanteuse revient, ventoline en main, et le concert reprend sous les rires bienveillants du public. La soprano est d'abord prudente puis, rassurée, ose encore davantage, donnant à entendre une interprétation brûlante de la fièvre somnambulique, le tout couronné d'un contre-ré bémol final pianissimo, évanescent.
De quoi rendre les bis plus émouvants encore : l'air d'Adriana Lecouvreur "Io son l'umile ancella" prend un sens particulier que souligne la soprano, visiblement très émue -humilité de l'interprète soumise aux aléas de son instrument et de son corps. Elle semble à la fois aux sommets de ses moyens (son "Casta Diva" de Norma est un moment de grande poésie tout en étant parfaitement maîtrisé) et pourtant l'idée que la fin viendra un jour s'est glissée, donnant le sentiment que c'est d'elle aussi que parle la cantatrice lorsqu'elle entame l'air "Vissi d'arte" (Tosca). Ces bis sont reçus comme le sommet de la soirée tant la voix semble devenir plus généreuse et plus belle de morceau en morceau, la soprano se permettant toutes les couleurs et toutes les émotions dont elle se sent capable, comme emportée par son art et l'écoute passionnée de la salle. Enfin "Somewhere over the rainbow" conclut ce récital sur une note plus joyeuse.
Pas moins de cinq standings ovations viennent clore ce récital, de la part d'une assistance conquise et reconnaissante.