Intimiste et poignante Madame Butterfly au Festival de la Vézère
Vingt-quatre heures tout juste après avoir fait scintiller L'Italienne à Alger dans ces mêmes lieux, la troupe itinérante de Diva Opera est de nouveau à l'oeuvre dans un tout autre registre. Les paillettes et la folie douce de Rossini sont déjà loin, et laissent place à une intrigue placée sous le sceau de l'émotion et du drame lyrique. Comme la veille, la formation britannique compose avec bien peu de moyens et d'effets matériels, dans ce petit espace scénique qu'offre la grange du Château du Saillant. Mais, une nouvelle fois, la scénographie est propre, travaillée et idéalement intimiste.
Pour figurer la demeure de Cio-Cio-San, une petite structure sobre aux charpentes boisées, nantie de lanternes rouges et de rideaux blancs, occupe le petit espace scénique (à un mètre tout juste du premier rang de spectateurs). Un décor dépouillé mais efficace, qui permet aisément la projection dans un Japon traditionnel du début du siècle dernier, dont l'esprit est aussi fidèlement honoré par les costumes féminins. Ceux-ci sont magnifiques et, des kimonos aux ceintures en passant par les coiffes en chignon et les éventails et ombrelles, chaque détail de la tenue est soigné, avec ce qu'il faut de raffinement et de couleurs. Avec leurs visages teintés de blanc, Cio-Cio-San et ses servantes n'en sont que plus crédibles en femmes d'un Japon fidèle à ses rites. Mention spéciale aussi pour les jeux de lumière, loin d'être négligés et contribuant largement à la retranscription des différentes ambiances induites par le livret.
Côté distribution
vocale, Philip Smith reçoit les plus chauds éloges. Le
Sharpless du baryton anglais est convaincant au niveau de
l'investissement scénique, en premier lieu, avec un talent
pour adopter les traits de l'affliction comme de la colère. La voix,
elle, est pénétrante, tissée sur une ligne vocale ample, avec un
timbre exquis dégageant la profondeur et la solennité
exigées par le rôle.
Le Pinkerton campé par Satriya Krisna est fort admiré lui aussi. Toujours plus à l'aise et épanoui vocalement au fil du spectacle, le jeune ténor indonésien ne séduit pas seulement par la prestance de son costume de lieutenant de marine et la vitalité de son visage. Il fait aussi montre de qualités de chant, avec une ligne vocale soignée sur une belle amplitude, et un timbre chatoyant qui brille dans l'aigu (l'oreille pourrait ergoter sur un vibrato qui manque parfois de relief, mais sans enlever à la ligne). Le Goro d'Ashley Catling est efficace et énergique, avec une voix de ténor qui n'est pas des plus ardentes, mais qui ne manque pas de justesse ni de caractère, avec un réel soin apporté à la diction. En Prince Yamadori, Samuel Pantcheff fait bon usage d'un chaleureux instrument de baryton, tout comme le baryton-basse Martin Lamb, en Commissaire impérial, qui déploie de vibrantes sonorités étendues sur un ample ambitus, naturellement plus affirmé dans les registres les plus bas.
Susana Gaspar, de son
côté, est totalement investie en Cio-Cio-San,
parfois habitée par son rôle dont elle restitue les facettes successivement amoureuse, triste puis
déchirée. La soprano portugaise mobilise son énergie
jusqu'au dernier souffle (fatal) de sa partition. La jeune cantatrice
présente un timbre aux ravissantes couleurs, chaud dans les graves
et généreux dans les aigus. Parfois trop d'ailleurs : la soprano manque alors de souffle ou perd en charme naturel dans ses intonations à mesure que la voix gagne en
puissance. Avec son visage aux traits sans cesse implorants,
Louise Mott est une solide servante, dont la voix
pénétrante trouve d'agréables aises à mesure que les notes
montent vers le grave. La Kate de Gabriella Cassidy est également
loin de passer inaperçue, par l'expression d'un riche et affirmé
timbre de soprano, bien projeté et affrontant les aigus avec
gourmandise.
La direction de Bryan Evans depuis son piano est discrète, certes (le maestro britannique étant à peine éclairé par la petite lumière de son pupitre), mais elle donne le juste tempo à l'avancée d'un drame qui a sûrement autant captivé que réjoui un public se manifestant par de longs applaudissements. Et ayant déjà hâte de revoir la troupe de Diva Opera, l'an prochain, pour la quarantième édition du Festival de la Vézère.