Gala d'opéra à Belle-Île-en-Mer
Le récital, divisé en deux parties équilibrées propose des airs et duos du grand répertoire d’une grande intensité dramatique, allant de Haendel à Mascagni, en passant par Mozart, Donizetti, Verdi, Bizet, Gounod, Offenbach, Massenet, Thomas. Cette diversité permet ainsi d’apprécier les qualités vocales et expressives des différents chanteurs qui se sont répartis de façon équitable les morceaux.
C’est au ténor Aaron Short de débuter cette soirée avec l’incarnation tonitruante du Duc de Mantoue dans l’air de Rigoletto "Questa o quella". Comme dans son rôle d’Edgardo (voir le compte-rendu de Lucia di Lammermoor), la voix se déploie magistralement (cette fois-ci dans la grande salle de l’Arsenal située à l’intérieur de la forteresse construite par Vauban), grâce à un vibrato très présent sur des aigus clairs et perçants. Il faudra attendre sa deuxième intervention (« Pourquoi me réveiller », Werther, Massenet) pour apprécier plus de douceur et de nuances avec l’utilisation plus souple de sa voix mixte. Lui succède le ténor Michael Kuhn. Sa courte prestation dans Lucia n’avait pas permis d'apprécier les possibilités de ce ténor. C’est chose faite grâce au choix des trois airs où finesse et musicalité tiennent une voix claire légèrement vibrée, des aigus faciles, un phrasé élégant et soigné, notamment lorsqu’il interprète Ferrando (« Un aura amorosa », Cosi fan Tutte, Mozart) évoquant l’amour de sa fiancée. La souriante Valérie Hart Nelson à la voix de contralto chaude et bien timbrée, ne saisit cependant pas l'esprit dansant de la gavotte française dans sa première intervention (« C’est moi, me voici », Mignon, Ambroise Thomas) manquant de légèreté, de staccato (piqué) et d’accentuation. La compréhension est aussi difficile, alors que dans son deuxième air (« Ombra mai fu », Serse, Haendel), elle propose une interprétation en retenue, expressive et émouvante grâce à une ligne mélodique conduite.
La basse Colin Ramsey, déjà remarquée dans Lucia, confirme une aisance aussi bien vocale que dramatique. Qu’il soit l’émouvant Fiesco pleurant la mort inattendue de sa fille dans « il lacerato spirito » (Simon Boccanegra de Verdi) ou le malicieux Leporello débitant la litanie d’un catalogue sans ennui (« Madamina, il catalogo e questo », Don Giovanni, Mozart) la voix est ample, modulante, homogène, vibrée et les graves jamais ternes (malgré le manque de staccato). Le dernier des trois ténors se produisant ce soir est Tyler Nelson. Sa voix lyrique au timbre rond, aux aigus jamais heurtés, au phrasé soigné donne une certaine élégance à ses deux personnages : Tamino (La Flûte enchantée, Mozart) ou Fenton (« Dal labro il canto », Falstaff, Verdi).
Dans sa jolie robe blanche au drapé cintré, la soprano Jazmin Black-Grollemund a l’allure d’une déesse. Les deux morceaux choisis sont judicieux et permettent de découvrir deux facettes de cette chanteuse fidèle au Festival au point d’avoir fait le choix de vivre à Belle-Île. L’interprète est attentive au style. Tout sourire en délicieuse Suze (« pochi fiori »-l’ami Fritz de Pietro Mascagni) furieuse et coléreuse lorsqu’elle s’empare du rôle d’Arminda (la finta giardiniera, Mozart), la voix est soit légère, avec des attaques en douceur soit intense et dramatique pleinement projetée aux aigus brillants et aux graves présents.
Les deux derniers chanteurs à se produire sont très attendus suite à leur prestation remarquée dans Lucia. Tout d’abord, le baryton Christian Bowers mais surtout Nicola Said. Tout comme Aaron Short, ils confirment un investissement corporel et psychique. Le baryton offre son interprétation bouleversante mais jamais larmoyante de Valentin (« Avant de quitter ces lieux » Faust Gounod). La voix est ronde, recueillie, intériorisée. Quant à Nicola Said, elle confirme ses qualités de tragédienne en interprétant deux autres héroïnes au destin terrible : Violetta (La Traviata) et Cléopatre (Jules César, Haendel). La voix offre de multiples possibilités, les émotions se succèdent, les aigus resplendissent, les vocalises jaillissent avec aisance. Elle s’investit tellement qu’elle a tendance à s’essouffler sur les fins de phrase en fin d’air et manque d'ornements expressifs dans les reprises.
Tout au long de ce concert, l’émotion est palpable dans la salle pleine où chaque spectateur retient son souffle durant les prestations avant d'applaudir chaleureusement et longuement l’ensemble de la production, y compris les quatre pianistes-accompagnateurs.