King Arthur referme le Festival de Beaune 2019
Le dispositif proposé est un compromis entre la version de concert et la représentation mise en scène, pour cette allégorie mythique sur la constitution du Royaume d'Angleterre. Les musiciens (cordes, bois et trompettes) forment un arc de cercle qui en enserre un second plus petit où sont assis les chanteurs, le chef agissant dans une zone intermédiaire entre les uns et les autres. Le continuo (théorbes et clavecin) est sur le côté cour de la scène pour assurer le contact visuel avec les chanteurs. L’orchestre joue debout, avec une énergie insufflée constamment par Paul McCreesh qui donne de sa personne pour que tout s’articule au mieux. Quelques pages purement orchestrales déploient des pianissimi en écho du chœur ou de l’air du froid, des caractères de lamentation, ou de solennité. L’orchestre introduit les climats de la narration. Le continuo particulièrement en phase avec les chanteurs, assure efficacement et quasi seul le fondement des parties solistes.
Les chanteurs sont tels une troupe, chacun choriste ou venant en soliste au centre de la scène, esquissant un "visuel" théâtral éloquent. C’est donc un chœur de solistes, autonome (ils ne voient pas la chef), qui exécute ses parties en connivence. Ensemble, les voix ne se fondent pas dans un son global mais la ligne singulière de chacun vibre dans un ensemble très vivant. Le thème en hommage à la « vieille Angleterre » est même l'occasion de voir le Brexit s’inviter sur scène, chacun des musiciens et chanteurs arborant, tout en jouant, qui un fanion européen (majoritairement) qui un britannique, à la grande joie de l’auditoire.
Jessica Cale a une voix de soprano de petit format et très lisse. Son chant appliqué s'appuie sur une bonne prononciation et un sens du phrasé convaincu, mais sans épanchement marqué. Cela lui permet de travailler une fusion des timbres en duo des bergères comme des sirènes avec Charlotte Shaw. Cette soprano lyrico-léger est riche en zones sombres dans le bas médium, sur une voix solide et fruitée, sonore. Elle vocalise avec aisance et possède une manière singulière de caresser les mots. La voix est très plastique et lumineuse, mais un peu sage dans son expression, malgré beaucoup d’abattage et de précision gestuelle comme vocale. Rowan Pierce propose une soprano de type "soubrette" selon la nomenclature des voix, mais elle a surtout une personnalité très forte qui transcende les moyens vocaux, avec musicalité et qualité de présence scénique. La voix est de moyen format, assez étendue, le timbre plutôt suave, mais la palette de couleurs et de modes d’émission va du triple piano au triple forte, avec une prononciation modèle et modelée au service du texte. C’est par ailleurs une voix nerveuse et agile qui vocalise naturellement. Dans le deuxième tube de l’œuvre, l’air de Vénus, « Fairest Isle… » (acte 5) faisant de l’Angleterre la nouvelle Chypre, la voix est rayonnante, pure, légère et chaleureuse à la fois, exhalant les mots avec une extrême sensualité. La reprise par l’orchestre pianissimo vient parachever ce moment de grâce.
Jeremy Budd est un ténor anglais, à la voix légère et naturelle, sachant néanmoins mixer (voix de tête et de poitrine) pour lui donner du poids et de l’autorité quand nécessaire. La voix seyante pour les moments poétiques et intimistes se distingue dans l’air « I call you… » (acte 1) où il vocalise à une allure impressionnante, à pleine voix. Il peut aussi bien répéter chaque phrase -sur le mode mezzo forte/piano que dialoguer avec le chœur. Il conclut ensuite l’œuvre avec l’air Saint Georges, passant de la voix la plus douce à la voix la plus solennelle, avec un aigu très incarné, et une voix mixte appuyée saisissante. James Way est un ténor solide, de type lyrico-léger. Une voix plus large que ses confrères du chœur, franche, aisée, étendue et de bonne projection. Il se montre très engagé dans le texte qu’il restitue pleinement quant à sa matière, mais aussi quant à ce qu’il véhicule. Il suscite les images de ce qu’il raconte, avec une voix guerrière et triomphante, puis celle d'un berger trompeur, poétique, en mezza voce. Marcus Farmsworth dote son baryton-basse à la personnalité rayonnante, d’une grande présence scénique. Le format vocal mesuré ne l'empêche pas de prendre le texte à bras le corps, sachant doser et déployer ses effets de phrasé selon le sens des mots, donnant un sentiment de facilité et d’évidence. Ashley Riches déploie sa basse, longue, profonde mais toujours très claire. Sans être très puissante, elle est très sonore et bien projetée. L’acteur est là aussi, très grand, avec un corps flexible et adoptant toutes les postures idoines. Le visage en soi est un théâtre tant il est mobile et sait arborer de physionomies. Son air du froid sait conférer à ce personnage de Génie une quasi humanité, dans la lassitude et la vieillesse.