Magnificat baroque vénitien au Festival des Heures Musicales de l'Abbaye de Lessay
L’Abbaye bénédictine romane du XIe siècle, Sainte-Trinité de Lessay (dans la Manche) résonne d’un programme puissant : le contraste émotif entre la joie du Magnificat comme du Concerto pour deux violons et violoncelle de Vivaldi et l’intensité dramatique du Crucifix comme des extraits de Marie-Madeleine aux pieds du Christ (dont nous avions rendu compte à la Chaise-Dieu), contraste renouvelé ensuite ce soir entre la Sinfonia al Santo Sepolcro de Vivaldi et la Missa Dolorosa de Caldara.
Le chœur de chambre Les Éléments montre une grande imprégnation du répertoire italien avec sa souplesse dans la caractérisation des sentiments musicaux. Les solistes offrent une fusion des affects pendant leur exécution, surtout lors des duos et pièces d’ensemble.
La soprano Cécile Dibon-Lafarge dotée d’une voix claire et agile déploie son habileté dans les phrasés, mais le souffle est un peu heurté par l'agilité. Julia Wischniewski soutient le dramatisme des opus par son souffle ample et chaud aussi sûr que sa prononciation italienne. La voix est lyrique, agile, mais l'incarnation en retrait limite l'interaction avec le public. La mezzo-soprano Corinne Bahuaud interprète avec facilité les ornementations vivaldiennes autant que le legato (lié). La chaleur est là aussi au service de la riche articulation.
Guilhem Terrail, contre-ténor, aborde ses arie (mélodies) avec une savante technique vocale, élégance et précision aussi bien en solo qu’en ensembles. La voix placée, perçante quand nécessaire assume de longs phrasés. Le ténor Olivier Coiffet possède une voix typique du "piglio tenorile" (voix de ténor dont émerge une sonorité éclatante). Son timbre tranché affine la précision du rythme comme du texte. Enfin, Romain Bockler, basse, possède une grande voix, ronde, chaleureuse et maîtrisée dans les graves comme dans les aigus. Sa souplesse vocale constitue le ciment harmonique des ensembles. Même dans cette langue latine, il sait prendre à témoin l'auditoire dans un effet expressif baroque.
L’Ensemble Concerto Soave montre sa maîtrise technique du répertoire baroque italien, sa virtuosité comme sa modernité, notamment dans l’aisance singulière du violoniste Alessandro Ciccolini, l’intonation et le phrasé impeccables de son collège ainsi que le violoncelle varié de Cécile Vérolles.
Joël Suhubiette dirige dans l’allégresse les différentes émotions, y compris tristesse et prière, dont la puissance musicale, émotive et spirituelle, est approuvée par le public empathique dans de longs applaudissements.