Le Mariage secret de Cimarosa célébré avec faste dans les Pouilles
C’est
un peu le choc des générations. Le vétéran Pier Luigi Pizzi (89
printemps) s’allie au giovanissimo Michele Spotti (26 ans)
pour monter l’un des opéras préférés de Stendhal, et au final,
tous deux rivalisent de jeunesse et de fraîcheur pour parer le
dramma giocoso de Cimarosa de couleurs vives et fraîches.
Pizzi ne cherche nullement à intellectualiser le livret ni à en
proposer une relecture censée en révéler la signification cachée :
la transposition de l’action dans le monde d’aujourd’hui ne
gêne nullement le propos, et le metteur en scène propose un spectacle fluide,
vif, élégant, dans lequel un jeu d’acteurs au cordeau
permet de mettre au jour la mécanique extrêmement bien huilée du
livret, dont les quiproquos, coups de théâtre, rebondissements
n’ont rien perdu de leur force comique. Les costumes élégants et
les décors (également réalisés par Pizzi) qui partagent le plateau en trois espaces distincts mais communiquant entre eux, concourent
également à l’impression d'ensemble.
Marco Filippo Romano, dans son costume jaune (la couleur des trompés), campe un Geronimo comique, accroché au titre de noblesse qu’il convoite pour sa fille (comme le Comte Robinson s'accroche à la dot qui lui est promise). La voix est saine, claire, efficacement projetée, et le chanteur fait preuve d’un certain abattage scénique. Le jeune marié Paolino a les traits et la voix d’Alasdair Kent, jeune ténor australien au timbre doux et fruité, à l’émission naturellement haute, dont la puissance vocale s’amenuise malgré tout quelque peu dans l’aigu, qui en devient un peu fragile. Quant à Vittorio Prato, il ajoute à la qualité de son chant (timbre conservant la même couleur et le même impact sur toute la tessiture, maîtrise du souffle, technique huilée) celle d’acteur comique qui régale visiblement les spectateurs : difficile de retenir ses rires quand il joue la déconvenue (lorsqu’il découvre que c’est la fille aînée qui lui est destinée), la vénalité, ou l’amoureux ne pouvant plus contenir son désir. Le public ne résiste nullement à la scène au cours de laquelle il érotise chaque geste, chaque partie du corps de Caroline alors que celle-ci tente vainement de se dévaloriser à ses yeux.
Les deux sœurs possèdent des voix nettement différenciées : Benedetta Torre (Carolina) fait entendre un timbre doux et charnu, délivrant avec aisance quelques aigus piano filés. Elle sait également conférer au personnage l'émotion des scènes finales de l’œuvre. L’aînée Elisetta (Maria Laura Iacobellis) possède un timbre légèrement moins velouté mais elle fait preuve en revanche d’une virtuosité accomplie et d’une grande maîtrise du registre aigu (en particulier dans son air du second acte : Se son vendicata). En termes de couleurs et de puissance, les voix des deux sœurs se marient fort harmonieusement dans les duos et les ensembles. De la tante Fidalma, se retient surtout l’image d’un personnage faussement raide, aussi bien dans la voix (puissante, un brin fixe, aux graves cuivrés) que dans la posture, jusqu’à ce que le désir lui fasse perdre le sens des convenances (très amusante scène au cours de laquelle le pauvre Paolino, à moitié évanoui, est à deux doigts de subir les assauts sexuels de celle à qui il était venu demander conseil !)
L’orchestre du Théâtre Petruzelli de Bari se signale par la transparence de ses coloris, sa précision et son aptitude à répondre promptement et efficacement aux demandes du chef Michele Spotti. Ce dernier, déjà connu en France (il a entre autres dirigé Don Pasquale à Montpellier ou Barbe-Bleue à Lyon lors de la saison passée), trouve l’équilibre entre l’élégance mozartienne et la vivacité rossinienne desquelles participe le chef d’œuvre de Cimarosa. Sa direction est vive et enjouée mais sans précipitation, toujours dramatique (par exemple dans la belle scène de Carolina au second acte : Deh, lasciate ch’io respiri!, traitée sur le mode sérieux comme un récitatif accompagné d’opera seria, ou dans le quintette qui lui succède). L’orchestre, sous sa baguette, dialogue avec les personnages, questionne, relance, commente, conclut : il devient un élément majeur du drame et de la poésie propre à l’œuvre de Cimarosa.
Fort heureusement, le spectacle doit faire l’objet d’un DVD, qui permettra de se remémorer les beautés d’un opéra injustement délaissé.