La Petite Renarde Rusée par Peter Sellars, féerie et minimalisme en fin de saison à la Philharmonie
Juste après le maximaliste Samstag aus Licht de Stockhausen, la Philharmonie referme son programme de saison sur une note plus légère aux tons minimalistes. À l'occasion de cet événement très rare (l'endroit accueille fort peu d'opéras mis en scène), la salle a été largement reconfigurée : sans les gradins derrière la scène afin de pouvoir reculer le plateau au maximum, pas de fosse non plus pour le London Symphony Orchestra, installé à l'arrière-scène. Les interprètes évoluent quant à eux sur une estrade surélevée placée à l'avant-scène, depuis laquelle Simon Rattle dirige également les musiciens.
À mille lieues de l'imagerie enchanteresse suggérée par l’œuvre, cette nouvelle production se caractérise par sa scénographie épurée. Le décor, réduit à quelques chaises et à une table, est assuré par des projections vidéos recréant l'atmosphère mystérieuse et charmante de la forêt, au cœur de l'opus de Janáček. Animaux et insectes en tous genres se succèdent sur le grand écran aux airs de bestiaire comique. Les costumes sont eux aussi réduits à la portion congrue, les chanteurs étant simplement vêtus de sobres tenues noires (ce qui n'aide d'ailleurs pas à suivre le fil de l'histoire, la plupart des interprètes passant sans cesse d'un rôle à l'autre tout en gardant la même tenue).
La mise en scène de Peter Sellars, à l'unisson, joue habilement des porosités entre le monde animal et le monde humain. La renarde Finoreille, largement anthropomorphique, apparaît comme une femme lascive séduisant les hommes pour mieux leur jouer des tours. Le metteur en scène injecte également une bonne dose de décalage dans les situations, s'amusant à montrer les crapauds avec des téléphones portables et le vagabond avec un colis postal sous le bras ! Les vidéos projetées font elles aussi leur effet comique auprès du public, à l’instar de la scène de la fin du premier acte où la renarde attaque le poulailler, illustrée par l'image d'une femme dévorant des brochettes de poulet.
Le spectacle est porté par la prestation remarquée de Lucy Crowe, qui incarne avec naturel la petite renarde. La soprano fait à la fois montre d'une technique vocale impeccable et d'un jeu expressif. Ses aigus sont éclatants, sa projection puissante et ses gémissements ravissent. Son interprétation dévoile les différentes facettes de cette énigmatique renarde, espiègle, lascive et timide à la fois.
Face à elle, Gerald Finley incarne un forestier à la carrure impressionnante et au timbre caverneux. Sa voix chaleureuse confère une certaine humanité à ce personnage plutôt antipathique. Le baryton-basse s'illustre tout particulièrement lors du dernier tableau, au cours duquel sa voix se pare d'accents lyriques et mélancoliques. Sophia Burgos se fond quant à elle dans le rôle du renard, dont elle adopte la démarche féline. Sa voix suave et son timbre coloré offrent un contrepoint notable à celui plus incisif de la renarde –personnage avec lequel elle partage une indéniable complicité.
Parmi les rôles secondaires, Peter Hoare tire nettement son épingle du jeu en campant trois personnages irrésistibles. Sa prononciation hachée et accentuée convient pleinement aux rôles comiques du moustique et du coq. La voix savoureuse du ténor se fait plus lyrique dans le rôle tout aussi drôle de l'instituteur. Jan Martiník interprète les rôles du Blaireau, personnage ronchon à la diction traînante et du Curé, auquel il prête sa voix caressante teintée d'austérité. Son jeu s'avère émouvant, même lorsqu'il ne chante pas. Le baryton-basse Hanno Müller-Brachmann incarne quant à lui un vagabond rieur et léger, aux graves ronds et puissants, et au rire infernal à l'effet comique.
La mezzo-soprano Anna Lapkovskaja prête ses aigus moqueurs à la femme de l'aubergiste. Mais c'est dans le rôle plaintif du chien qu'elle s'illustre véritablement, grâce notamment à une belle ligne vocale parsemée de notes aboyées. Sa projection lui permet par ailleurs de chanter sur le dos sans que cela ne s'en ressente sur la voix. Paulina Malefane incarne à tour de rôle la Femme du forestier, la chouette et le pic-vert, rôles énergiques nécessitant des aigus perçants. Le casting est complété par la soprano Irene Hoogveld et le ténor Jonah Halton, discrets mais efficaces dans les rôles du geai et de l'aubergiste.
La direction inspirée de Simon Rattle rend un hommage vibrant à la partition féerique de Janáček, interprétée avec intensité par le London Symphony Orchestra. Perché sur l'estrade, le chef britannique échange à plusieurs reprises avec les personnages qui le consultent, provoquant de nombreux rires parmi l'assistance. Le chœur du LSO livre une prestation aérienne tandis que les interventions dynamiques des enfants de la Maîtrise de Radio France, que Peter Sellars fait danser, font souffler un vent de fraîcheur sur scène.
La soirée se termine par des applaudissements copieux de la part du public, tandis que Peter Sellars, les cheveux dressés sur le crâne, salue les jeunes chanteurs comme un entraîneur sportif à la fin d'un match réussi.