Concert Monstre Berlioz à la Philharmonie : aux grandes œuvres, les grands moyens !
Pour commémorer les 150 ans de la disparition d’Hector Berlioz, un hommage somptueux est rendu au compositeur à la Philharmonie de Paris, réunissant un effectif à la (dé)mesure des œuvres présentées. Habitant tout un pan de la salle Pierre Boulez, du parterre aux gradins en passant par la scène, deux orchestres (Les Siècles et le Jeune Orchestre européen Hector Berlioz), une phalange de voix réunissant six formations vocales (Chorale de la Cité Internationale Universitaire de Paris, Chœurs Calligrammes, des Universités de Paris, InChorus, Chanteurs des Chœurs et Orchestres Sorbonne Université, et des Grandes Écoles) et le soliste Julien Dran sont tous placés sous la direction de François-Xavier Roth. L’occasion de faire vivre la musique de Berlioz dans toute sa force et de répondre aux effectifs ambitieux qu’il mobilise.
À cet effectif extra-ordinaire, des œuvres rares portées par la gloire, la bravoure et le triomphe, avec L'Impériale, cantate dédicacée à « Sa Majesté Napoléon III, Empereur des Français », le Chant des chemins de fer créé à l’occasion de l’inauguration de la gare de Lille où se retrouve tout l’optimisme saint-simonien pour l’industrie, Le Temple universel porté par l’universalisme et le rassemblement des peuples, ainsi que l’Hymne des Marseillais où le public est invité à se joindre à l’effectif lors du refrain. Et comme apogée de ce spectacle, la Grande Symphonie funèbre et triomphale, créée pour le dixième anniversaire de la révolution de 1830 place de la Bastille, où en trois temps, se construit un long mouvement de la Marche funèbre résignée vers l’acmé d’une Apothéose débridée mobilisant tout l’effectif en un finale exalté. En outre, des parenthèses littéraires avec des témoignages de contemporains du compositeur, enregistrées et lues par des lycéens, annoncent ces vastes pièces architecturales.
La voix soliste du Chant des chemins de fer et de l’Hymne des Marseillais est portée par Julien Dran, qui lève l’enthousiasme avec bravoure et une tonalité héroïque. Seul face à l’effectif instrumental et vocal, il projette sa voix de ténor en un son percutant, acéré et sûr. Les motifs qu’il introduit sont repris par le chœur entier dans un bel effet, offrant l’impression d’une voix de front ralliée par ses troupes marchant au pas (« C’est le jour de fête »). Celle-ci est cependant couverte lorsque chœur et orchestre s’élancent vaillants en des fortissimi dont l’intensité offre peu de répit.
Surplombant la scène, debout sur les gradins, l’effectif vocal colossal mobilisé pour toutes les pièces au programme est d’une énergie inaltérable. Dès les premières mesures de L’Impériale, l’émission est radieuse, d’un engagement fier. Le travail réalisé en amont avec Frédéric Pineau, chef de chœur est franc : les attaques sont précises, la diction est claire (les regards sur le livret sont épisodiques), et les passages chantés d’un même rythme sont foudroyants d’efficacité. Cette ferveur se retrouve chez les instrumentistes des Siècles et de l’Orchestre des jeunes Berlioz. Toutes les familles participent du grandiose de ces pages, en particulier les cuivres, fort mobilisés tout au long du concert (dont les puissants accords introduisent L’Impériale), et dont le solo de trombone de la Grande symphonie funèbre et triomphale est un point d’orgue d’une absolue justesse.
La direction de François-Xavier Roth sculpte un son tout en relief. Des opus au programme, il extrait toute la dramaturgie pour raconter des histoires dont les acmés (l’éclat étant le maître-mot de ce concert) comme les mouvements de reprise (le principe du couplet – refrain dans L’Impériale, le Chant des chemins de fer ou La Marseillaise) sont savamment amenés. La coordination de l’effectif est remarquable, avec un accompagnement explicite des entrées par de larges mouvements de bras et une battue précise (les quatre temps de la marche funèbre indiqués de manière millimétrique).
Le chef de rappeler en fin de concert le caractère exceptionnel de cet événement, ayant permis de rassembler et de faire entendre des instruments d’époques rarement joués, à l’instar des ophicléides (serpents à clé de la famille des cuivres). Et de reprendre l’« Apothéose » en bis face à un public déjà conquis, pour une fin tout en brio.