Zerballodu, bruissement écologique à la Philharmonie de Paris
Les collégiens sont répartis en deux chœurs, représentant une lutte manichéenne et bicolore entre le bien et le mal : Les Arbres (tous habillés en blanc et qui deviennent vert avec les lumières) debout dans les gradins au fond de la salle, Les Casques en tenues de chantier bleues venus déforester et placés à l'avant-scène. Malheureusement, les enfants semblent très stressés par l'enjeu et cette grande salle. Les Arbres se déracinent (les jeunes en fond de scène s'agitent, bougent d'une jambe sur l'autre, balancent leurs bras) ce qui nuit énormément à l'articulation : le texte est hélas absolument incompréhensible, or aucun sur-titre n'est diffusé. Le programme invite seulement à flasher un QR code, mais fort heureusement personne ne rallume son téléphone portable pour suivre ainsi le texte en rompant l'ambiance lumineuse et la concentration. Pourtant les apprentis-chanteurs savent faire des effets illustrant la forêt et notamment le groupe de forestiers à l'avant-scène est très appliqué dans ses accents toniques : du texte surgit alors de la forêt, avec des rimes telles que "Ratiboisez-moi tous ces bois" ou l'aria de "la débroussailleuse délicieuse".
Les chœurs soutiennent en outre des solistes, deux jeunes chefs forestiers et des artistes professionnels. La soprano Raquel Camarinha ("Portugaise, Têtue, passionnée et organisée qui voudrait apprendre à faire des claquettes" comme la présente son portrait dans le programme de salle) est habituée aux créations contemporaines ainsi qu'aux mélodies françaises. Elle met cette pratique au service d'une articulation intelligible des mots et des notes. Les lignes se déploient lyriques et même à l'aise dans les coloratures mais ces qualités restent les mêmes alors qu'elle incarne différents personnages : l'institutrice, un casque, petit arbre, grand arbre. Grand arbre aussi et même Chamane : tel est le rôle incarné par Julien Clément (qui "essaie de s'améliorer chaque jour et a un rapport plutôt bon avec la musique", toujours dixit le programme). Son costume rappelle l'homme-arbre dans un célèbre film (notre dossier Opéra & Cinéma). Le baryton a certes une voix étoffée et mêlant les qualités essentielles pour cet opus : parlé lyrique, chanté articulé et joué incarné avec des appuis très marqués qui tendent cependant le vibrato.
Bien que difficilement intelligible et bien qu'ayant deux chœurs, cette œuvre a un message écologique univoque. Pourtant l'interprétation a deux directions qui peinent à se concilier. Léo Warynski est sur l'estrade, tandis que la cheffe de chœur Sophie Boucheron (bien-nommée pour cet opus, à une lettre près) un pas derrière (et donc également une marche en-dessous) donne aussi des indications. Dans un premier temps, celle-ci semble avoir été prévue pour aider les chœurs d'enfants en leur indiquant des entrées spécifiques, toutefois elle bat naturellement la mesure elle aussi mais dans une version parfois discordante avec celle de son collègue, lui-même donnant également les entrées et aidant les enfants dans la prononciation du texte. Le mieux est ainsi l'ennemi du bien et un souci de renforcer la clarté n'est pas pour aider les jeunes chanteurs, tandis qu'à l'inverse, les instrumentistes savent se concentrer sur une seule direction. Les parties instrumentales de l'œuvre peuvent ainsi exprimer leur grand intérêt. Le riche pupitre de percussions multiplie les effets et ambiances sonores, faisant pousser une jungle musicale foisonnante (au point même que les haut-parleurs avec des sons électroniques semblent superflus). Le reste de l'Orchestre national d'Île-de-France et l'Académie d'orchestre avec de jeunes musiciens de conservatoires savent aussi bruisser et glisser, marquer des rythmes mais surtout des timbres limpides : les bois sont boisés, les cuivres cuivrés.
La fin de l'œuvre laisse percevoir un mot qui se révèle être le mot de passe expliquant le titre : Bulldozer (dont Zerballodu est l'anagramme, à une lettre près).