Joyce DiDonato sacrée en Jeanne d'Arc, Saint-Denis et la Basilique des Reines
Rossini est avant tout connu pour ses opéras, mais il a également composé des chefs-d'œuvre de musique sacrée qui auraient trouvé naturellement leur place en la Basilique de Saint-Denis (comme son Stabat Mater résonnait la semaine précédente grâce à Sonya Yoncheva dans l'acoustique rappelant une Cathédrale à la Philharmonie de Paris). Le choix bien plus rare d'interpréter l'une de ses cantates et en particulier Jeanne d'Arc (initialement pour piano mais orchestrée par Salvatore Sciarrino pour Teresa Berganza en 1989) résonne pourtant particulièrement avec le lieu : "la Pucelle d'Orléans" serait venue se recueillir en la Basilique de Saint-Denis (épisode bien plus glorieux qu'une autre légende reliant la Sainte et la ville, et selon laquelle Jeanne d'Arc aurait brisé son épée sur le dos d'une prostituée à Saint-Denis pour la châtier).
Le programme disparate est avant tout construit autour de Joyce DiDonato et de Jeanne d'Arc. L'opus est certes précédé ce soir par l'Ouverture d'une autre œuvre de Rossini mais aussi dissemblable que peuvent l'être deux œuvres d'un même compositeur (Le Siège de Corinthe aux dimensions de Grand Opéra). Jeanne d'Arc est suivie par la première Sérénade de Brahms sans que le programme ne donne d'explication sur le choix d'une œuvre allemande symphonique de jeunesse et de la génération suivante.
La cohérence se situe en fait dans le jeu orchestral et notamment deux effets : un grand crescendo à la fin de chaque œuvre ainsi qu'une construction globale qui repose sur l'alternance de grands coups et de tenues au seuil de l'audible. Cette alternance qui aurait certainement été poignante dans une acoustique de théâtre (d'autant que le fortissimo est aussi épanoui et intense que le pianissimo suivant) achoppe cependant ici sur la très longue acoustique de la Basilique. Même pour les premiers rangs (et l'effet est démultiplié au fond de la nef, sans parler des travées), la seconde intervention effilée est étouffée par la réverbération des premiers accents. Cela est d'autant plus dommageable dans le second opus au programme puisque c'est alors bien souvent la voix de Joyce DiDonato qui tient le rôle de cette seconde intervention résonnante. Fort heureusement, la diva sait mettre toute son intensité au service du placement vocal, cette technique effilée et pourtant ample qui permet de s'appuyer sur le son orchestral (et non de disparaître en-dessous). L'investissement dramatique est au diapason : dès son entrée en "scène" et même dès les répétitions comme elle en témoigne sur les réseaux sociaux, elle paraît comme touchée par la grâce divine, la force et le sacrifice de Jeanne d'Arc, les yeux embrumés levés vers les cieux. La voix est à l'image de la somptueuse robe de la chanteuse, un hommage à Jeanne d'Arc (couleurs enflammées et motifs en ogive soutenant le noir du deuil).
Telle Jeanne d'Arc boutant l'ennemi, DiDonato parvient même à terrasser les ardeurs de la phalange instrumentale : les cuivres battent en retraite, les cordes et les arcs se distendent et lui laissent pleinement emplir la Basilique de son pianissimo du bout des lèvres, puis élever des chants mêlant la victoire militaire à la gloire divine. Elle accepte son destin, le vibrato devient un tremblement descendant mais riche et d'une assise puissante. Résignée au sacrifice et au grave atténué, elle retrouve un souffle poitriné et relève la ligne vers le médium comme les yeux aux ciel.
Le public lui offre alors un triomphe, de nombreux fidèles se lèvent, la rappellent et obtiennent même un bis (alors que la chanteuse n'est prévue qu'au milieu de ce concert sans entracte). Joyce DiDonato fait annoncer par le maestro La Mort de Didon (non pas la cantate de Rossini qui porte ce titre, mais la conclusion de l'opéra de Purcell, Didon et Énée). Les deux figures féminines que sont Jeanne d'Arc et Didon(ato) révèlent alors tous les points communs, en parallèle et symétrie : d'autant que selon les sources, la Princesse phénicienne et reine de Carthage aurait pu se tuer dans les flammes, avec une épée ou en se noyant.