Lélio et la Symphonie fantastique réunis à la Philharmonie de Paris
Pour conclure en beauté leur tournée consacrée à Hector Berlioz, qui les a menés à Caen, Toulouse et La Rochelle, François-Xavier Roth et l'orchestre Les Siècles concoctent un programme particulier pour ce concert. Le public parisien a la chance d'entendre interprétés la Symphonie fantastique suivie de Lélio ou le Retour à la vie. Or, si la première fait partie des incontournables du répertoire romantique, le second est peu souvent donné en concert – encore moins à la suite de la Symphonie.
Conçu par Berlioz comme la suite de sa célèbre symphonie –les deux œuvres ont été réunies en 1832 sous le titre Épisode de la vie d'un artiste–, Lélio ou le Retour à la vie (1831) ne jouit pas de la réputation internationale de la Fantastique. Le « mélologue » –terme inventé par Berlioz pour décrire ce mélange surprenant de mélodrame et de monologue– allie avec originalité musique orchestrale, airs chantés et monologues dramatiques. Berlioz n'hésite pas à se mettre en scène au travers des textes récités, sorte de journal intime dans lequel il se confie sur son amour, ses goûts littéraires (Goethe et Shakespeare) et son travail de chef d'orchestre. Quant à la partition, mélange d'anciennes pièces (Chanson des pirates transformée en Chanson de brigands, Fantaisie sur la Tempête de Shakespeare) et de nouvelles pages, elle surprend par sa diversité stylistique et orchestrale.
Après une interprétation fougueuse de la Symphonie fantastique, c'est au tour de Lélio de résonner dans la grande salle de la Philharmonie. Pour donner à entendre et à voir cette œuvre étonnante, François-Xavier Roth et Les Siècles ont recours à une mise en espace originale. Contrairement à la disposition voulue par Berlioz, l'orchestre n'est pas dissimulé derrière un rideau mais plongé dans une semi-obscurité qui permet de mieux mettre en avant certains éléments de l'orchestre à l'aide d'effets lumineux.
Loin de se cantonner à la scène, les chanteurs et les musiciens investissent l'ensemble de la salle. Michael Spyres se retrouve ainsi sur l'un des balcons aux côtés d'une harpiste, tout près du public, pour interpréter le Chant de bonheur –mise en scène faisant écho à la célèbre scène du balcon dans Roméo et Juliette de Shakespeare. Lors de la Chanson de brigands, c'est au tour des chanteurs du chœur de quitter leur place pour envahir l'avant-scène. Galvanisés par leur capitaine, interprété par un Florian Sempey en belle forme, ils s'agitent, rient et crient dans une ambiance de franche camaraderie digne d'une taverne !
Le ténor Michael Spyres, récemment admiré dans Le Postillon de Lonjumeau mis en scène par Michel Fau à l'Opéra Comique, tient ici le rôle du héros romantique. Particulièrement à l'aise dans les aigus, il interprète avec douceur et mélancolie Le Pêcheur et Le chant de bonheur, mettant sa diction impeccable au service du texte au cours d'une prestation toute en nuances. Son timbre éclatant, sa longueur de souffle et son léger vibrato concourent à faire de son interprétation dépouillée un moment de pure délicatesse.
Florian Sempey, malicieux Papageno dans La Flûte enchantée de Mozart mise en scène par Robert Carsen à l'Opéra Bastille, offre un autre visage de Berlioz en incarnant un brigand facétieux, le temps d'une courte parenthèse endiablée. Sa voix sombre, vibrante et généreuse vient, au cours d'une performance explosive, extraire le public de la rêverie romantique dans laquelle la douceur de Michael Spyres l'avait plongé. Le volume sonore de l'orchestre et du National Youth Choir of Scotland, déchaînés, couvre toutefois à plusieurs reprises la voix pourtant puissante du chanteur, empêchant ainsi le public d'y goûter davantage.
C'est à Michel Fau, dandy contemporain, qu'est confié le rôle du récitant, alter-ego du compositeur. Le comédien livre une prestation très théâtrale, incarnant avec intensité les tourments de Berlioz. Extrêmement expressive, sa voix est tantôt chantante, tantôt plaintive, ce qui n'empêche pas le comédien de ponctuer sa prestation d'une pointe d'humour. C'est particulièrement vrai lors du dernier tableau, au cours duquel le récitant/compositeur donne des ordres à l'orchestre devant un public amusé.
Grâce à la direction avisée de François-Xavier Roth et à
l'interprétation des musiciens des Siècles jouant comme à leur habitude sur instruments d'époque, les spectateurs de
la Philharmonie redécouvrent -en cette année commémorant les 150 ans de la mort de Berlioz- ce diptyque étonnant dans sa
version originelle. Un événement qui ne se reproduira probablement
pas de sitôt.