Hippolyte et Aricie de Zurich à Paris
Toutes les forces de l’Opéra de Zurich -l’orchestre, les chœurs et les solistes-, se trouvent donc réunies pour interpréter le chef d’œuvre de Rameau, Hippolyte et Aricie au Théâtre des Champs-Élysées. Le premier regret concernant cette soirée relève des coupures relativement nombreuses effectuées, depuis le Prologue jusqu’à la délicieuse scène finale -après le duo des deux amants Que mon sort est digne d’envie- qui conclut normalement cette Tragédie lyrique de façon harmonieuse et sereine. L’air symptômatique de l’ouvrage Rossignols amoureux se trouve ainsi coupé. La volonté affichée apparaît donc bien de dramatiser le propos, lui enlevant une part de fraîcheur et plus encore de merveilleux.
Bien entendu, la musique de Rameau si foisonnante et riche affirme sa résistance, en premier grâce au couple formé par Mélissa Petit (Aricie) et Cyrille Dubois (Hippolyte). Déjà, tous deux affichent un sens naturel de la nuance et de l’ornementation avec une approche toujours délicate et pleinement en situation. Leurs différents duos ("Tu règnes sur nos cœurs" de l’acte I ou "Nous allons nous jurer" de l’acte II) constituent certainement les moments de la soirée d’où émane l’émotion la plus palpable, la plus intimement sincère. Le timbre de la soprano française Mélissa Petit, un peu voilé, peut dans un premier temps surprendre. Mais l’engagement sur la ligne vocale, un aigu vif argent, un grave bien assis, donne beaucoup de caractère à une interprétation frappée du sceau de la sincérité. À ses côtés, Cyrille Dubois campe un Hippolyte proprement bouleversant au phrasé et au legato souverain, d’une voix à la fois affirmée et légère, à l’aigu épanoui.
Stéphanie d’Oustrac (qui nous parlait de cette production en interview) habite avec véhémence et tempérament le personnage de Phèdre. En tragédienne, elle fait pleinement ressortir les multiples aspects de ce personnage ambigu, entre la déploration sur son amour non partagé et la soif de vengeance. Sa voix de mezzo frappe par sa largesse et la variété de ses couleurs. Edwin Crossley-Mercer donne beaucoup de relief au personnage de Thésée. Son approche ardente, la qualité de son engagement s’appuient sur une voix troublante, qui ne manque pas de relief ni de caractère. L’aigu peut paraître un peu serré à plusieurs reprises et la projection pourrait être plus affirmée encore, mais il a totalement intégré les fondamentaux de cette musique et il se donne sans retenue.
Wenwei Zhang (Pluton/Neptune) possède des moyens de basse imposants, dont il se sert un peu à outrance. Il emplit aisément la salle du Théâtre des Champs-Élysées, mais un peu plus de souplesse et de délicatesse sur la ligne de chant eussent été appréciables. Aurélia Legay offre au personnage d’Œnone sa voix puissamment timbrée et une présence vénéneuse. Pour sa part, Hamida Kristoffersen possède indéniablement les qualités pour incarner le personnage de Diane entre allure et voix de soprano de belle facture.
Parmi les trois interprètes des Parques figurent le ténor Spencer Lang (qui incarne aussi avec brio le rôle de Tisiphone), voix facile, claire et à la diction précise, la basse profonde Alexander Kiechle et le ténor très aigu et sonore, Nicholas Scott. Le trio des Parques prend toute sa dimension et sa cohésion avec ces trois entités très complémentaires. Gemma Nì Bhriain semble un peu moins assurée dans ses différentes incarnations : une prêtresse de Diane, une matelote, une chasseresse.
Le chœur de l’Opéra de Zurich (direction Janko Kastelic) brille de mille feux et se surpasse. À la tête de l'Orchestre La Scintilla, Emmanuelle Haïm s’enflamme et déploie son habituelle énergie communicative. Pour autant, une approche plus raffinée et surtout plus contrastée, plus attentive aux nuances, aurait certainement laissé plus de part à l’émotion et à la profondeur. Au-delà de ces quelques réserves, cette soirée qui enthousiasme le public donne principalement envie de réentendre tous les ouvrages du compositeur dijonnais.