Éléonore Pancrazi et Louise Pingeot littéraires en ouverture du Festival Musica Nigella
Pour sa 14e édition, c’est à la thématique des "Racines" que le Festival Musica Nigella, soutenu par un comité d'honneur présidé par Jean-Claude Casadesus et se déployant chaque année sur toute la côte d’Opale, consacre sa programmation éclectique et exigeante. Ce thème prend forme dès le concert d’ouverture intitulé « Chausson, le littéraire » avec les inspirations wagnériennes du compositeur français et le matériau littéraire qu’il emploie pour certaines pièces : La Chanson perpétuelle écrite sur un poème de Charles Cros, mais surtout la méconnue et néanmoins remarquable Tempête, musique de scène écrite à partir de l’odyssée shakespearienne. Œuvre fragmentaire, elle est reconstituée pour sextuor instrumental et deux chanteurs par Takénori Némoto, Directeur artistique du Festival, chef d’orchestre et habitué de la transcription (voir la rare Cendrillon d’Isouard réécrite pour l’Ensemble Musica Nigella et donnée l’édition passée). Cette pièce redécouverte trouve un répondant dans Le Salut d’Ariel (Ariel’s Hail) de Kaija Saariaho, dont le sujet comme les délicates harmonies soulignées à la harpe s’accordent à Chausson et donne du relief au programme.
Sur le plateau, au milieu des vieilles pierres de la Chartreuse de Neuville, Éléonore Pancrazi (à découvrir ici en interview) et Louise Pingeot apparaissent ensemble pour La Tempête. La première saisit d’emblée, distillant le charme mystérieux du Chant d’Ariel en posant chaque note d’une voix d’abord caressante et étoffée à l’aigu cristallin faisant écho aux sonorités mirifiques du célesta et de la harpe, avant de se faire grave et placide, évoquant « le glas » d’une voix dont les médiums se font bien vibrés et grondants ou lisses et placides. La confiance dans l’attaque montre un son assuré et large, d’une grande présence, et que dévoile la célèbre Chanson perpétuelle, dont la lenteur du tempo permet à la mezzo-soprano de gorger sa voix d’une intensité constamment renouvelée par des nuances et des changements de registres dont elle tire parti à des fins expressives. Avec Louise Pingeot, la mezzo-soprano révèle un Duo de Junon et Cérès finement ciselé. Outre une impulsion commune, les deux interprètes montrent des timbres complémentaires dont profite cette histoire mythologique. La soprano est également remarquée par son engagement scénique et vocal. Flûtée et ondulante, la voix est d’une grande subtilité dans l’expression. L’articulation, très méticuleuse, mobilise largement les zygomatiques, et rend audible une voix d’ondine qui se fait très habile narratrice de la Chanson d’Ariel. Elle se montre saisissante dans L’appel d’Ariel, et à la manière des mouvements du vent signifiés par la flûte, se fait brusquement bourrasque (le claquement des « ch » anglais) ou fin tissu d’air, selon les caprices de la partition.
Outre les performances vocales des deux interprètes, la réussite du concert tient à la performance de l’Ensemble Musica Nigella, au sein duquel les musiciens montrent un engagement et une cohésion sans faille jusqu’au Concerto pour violon, piano et quatuor à cordes où s’illustrent Pablo Schatzman (violon) et Jean-Michel Dayez (piano). Au fil des quatre mouvements forts distincts en caractère, les interprètes demeurent ensembles et décidés, jusqu’au brio du quatrième mouvement, repris en bis plus fougueux encore qu’à l’initial.
Un concert d’ouverture enregistré (à paraître prochainement en CD) pour le Festival qui se poursuit jusqu’au 2 juin sur toute la côte d’Opale.