Sonya Yoncheva incarne sa première Norma sur grand écran
La production signée du metteur en scène espagnol Alex Ollé, associé à Valentina Carrasco, se construit autour du culte sous toutes ses facettes (religieux, symbolique, rituel). Le rite gaulois est remplacé par une évocation de l’Inquisition, en tout cas celui d’un rite ultra-catholique évoluant autour d’un symbole de double croix, brodé sur le moindre vêtement, présent sur chaque petit bijou (détails rendus lisibles grâce à la captation vidéo). De même, l’écrasante forêt de crucifix imaginée par Alfons Flores qui habille l’intégralité du plateau pendant quasiment tout le spectacle est une illustration oppressante d’un fanatisme religieux que le metteur en scène a voulu contemporain comme en témoignent les costumes actuels de la deuxième partie. L’atmosphère, pesante, se ressent jusque dans l’interprétation scénique des chanteurs. Solistes comme choristes sont soumis à des rituels codifiés et une gestuelle ample et lente, aux dépens parfois de l’expressivité des situations, notamment au premier acte. Le deuxième s’ouvre quant à lui sur un salon moderne, où les deux enfants de Norma et Pollione (ici un garçon et une fille) jouent devant la télévision, avant que le plateau, toujours surplombé par la grande forêt ne se voit augmenté d’une estrade qui recentre l’action au cœur de cet espace très rempli.
Directeur musical du Royal Opera House depuis 2002, Antonio Pappano connaît intimement l’orchestre maison. Avec sa verve habituelle, il insuffle aux différents pupitres des accents et tempi variés, toujours attentif aux équilibres entre la fosse et l’orchestre comme en témoigne aussi bien l’évanescence de l’accompagnement de Casta Diva que le bouillonnant final du premier acte.
Le ténor David Junghoon Kim, interprète du rôle de Flavius, se montre impliqué, clair et sonore dans ses interventions, tandis que Vlada Borovko prête sa voix nourrie et à l’aise dans le grave à Clotilda.
Oroveso est incarné par la basse britannique Brindley Sherratt. La voix, altérée, laisse transparaître les failles du personnage qui ne trouve une réelle envergure qu’à l’extrémité de l’œuvre. Le timbre manque de profondeur, mais les graves sont faciles et sonores.
Sonia Ganassi incarne une Adalgisa mûre et renfermée. Son premier duo avec Pollione la laisse un peu dépassée par les exigences de la partition, mais la chanteuse se reprend vite dès la scène suivante. L’agilité fait parfois défaut à une voix au vibrato assez ample, mais au timbre corsé qui offre un élégant contrepoint à la voix de Sonya Yoncheva dans le duo « Mira O Norma ».
Le robuste Pollione de Joseph Calleja, qui s’appuie sur son charisme naturel pour composer son personnage, se trouve, à l’image de ses partenaires plus en réussite dans la deuxième partie. Son interprétation de « Mi protegge, mi difende » reste prudente bien que le chanteur n’éprouve pas de difficultés techniques. Son interprétation prend de réelles couleurs dramatiques après l’entracte, le ténor semblant plus libre scéniquement et vocalement. Il peut déployer une voix timbrée sur toute la tessiture, aux aigus doux, autant que des graves profonds aussi belliqueux que les regards haineux qu’il lance à Norma.
La prise de rôle de Sonya Yoncheva en Norma fait figure d’événement tant la partition est réputée redoutable. Pourtant, la soprano bulgare relève le défi avec panache. Forte d’une présence expressive, son air Casta Diva est appliqué mais sensible, suivi d’un « Ah ! Bello a me ritorna » dont la virtuosité impressionne, la chanteuse préserve cependant sa voix en s’en tenant à la partition. Après le finale du premier acte, dont l’intensité monte croissante, c’est encore une fois au deuxième acte qu’elle peut développer tous ses talents, avec une émouvante incarnation de sa tentative d’infanticide où elle fait preuve d’un jeu naturel et éloquent. Puis, dans la dernière partie, elle déploie une voix aux accents mordants, toujours équilibrée et agile jusqu’à la scène finale, où elle semble porter l’ensemble de la distribution avec elle.