L’Odéon de Marseille au garde-à-vous pour La Grande-Duchesse de Gérolstein
À Marseille, la célébration des 200 ans de la naissance de Jacques Offenbach a bien débuté. Si la saison prochaine inclura pas moins de quatre productions du « Mozart des Champs-Élysées » (Pomme d’Api, Orphée aux Enfers et La Périchole à l’Odéon ; Barbe-Bleue à l’Opéra), le Théâtre de l’Odéon, temple de l’Opérette en France, choisit d’achever sa saison par La Grande-Duchesse de Gérolstein, qui avait séduit les foules à sa première grâce à l’harmonieuse légèreté de sa musique et sa sympathique satire des armées.
Se retrouvent dans la mise en scène de Jack Gervais les décors colorés en carton-pâte à l’économie assumée croisés habituellement sur la scène de l’Odéon : un camp de soldats au premier acte sur fond d’un canon très phallique, une salle du trône kitschissime surmontée d’un Cupidon très disgracieux au deuxième, une chambre à coucher plus conventionnelle mais issue du même univers visuel dans le troisième. Certains anachronismes, comme un sac Tati ou un magazine féminin, viennent apporter une touche d’humour contemporaine bienvenue, mais qui reste convenue.
L’action respecte le livret de Meilhac et Halévy, même si le dialogue parlé prend ponctuellement ses libertés pour en rafraîchir le vocabulaire ou s’égarer dans une plaisanterie pas vraiment indispensable sur Ségolène Royal. Comme à son habitude, le protéiforme Chœur Phocéen sait allier le chant aux pas de danses. Tantôt tuniques bleues, tantôt courtisans, ses membres insufflent une bonne humeur contagieuse au tout, même si quelques décalages restent audibles. Le choix de se passer de surtitres peut surprendre au vu du débit rapide imposé par les tempi de plusieurs morceaux.
La direction musicale de Bruno Conti, à la tête de l’Orchestre de l’Odéon, ne trahit jamais l’insouciance sautillante de la partition d’Offenbach et le pupitre des cordes déploie de belles sonorités sur les intermezzi. Les bois déplorent quelques imprécisions et les cuivres, très sollicités dès que l’ambiance musicale va s’aventurer du côté de la fanfare, ont tendance à recouvrir les chanteurs, même si cela est plus souvent le fait des capacités de projection de ces derniers.
Le casting vocal fait en effet cohabiter voix lyriques et voix plus légères propres au monde de l’opérette. C’est le cas de la plupart des seconds rôles, que la partition restreint à des tessitures plus adaptées à leur instrument : dans les duos avec les rôles principaux, l’écart manifeste de puissance vocale tend à les effacer. Au sein du trio des conspirateurs, l’assurance et l’énergie de Philippe Fargues (Général Boum) dominent la projection moins large et la diction moins martiale de Dominique Desmons (Prince Paul) et Jacques Lemaire (Baron Puck). La coqueluche des habitués, Antoine Bonelli, fait des apparitions remarquées dans le rôle non chanté de Népomuc.
Seul véritable second rôle lyrique, la soprano Charlotte Bonnet se distingue en Wanda par son agilité et la pureté de son timbre. Le ténor Kévin Amiel fait preuve dans le rôle de Fritz d’une belle assise vocale : son timbre clair et léger s’élève avec assurance dans les aigus. L’artiste dégage sur scène la nonchalance décomplexée de son personnage. Son jeu d’acteur est très adapté au genre mais il fait le choix saugrenu d’un fort accent méridional sur ses dialogues parlés, qui grossit les traits et nuit à la force comique du personnage.
À la tête de ce petit monde, la Grande Duchesse Marie-Ange Todorovitch déploie beaucoup d’énergie et son timbre chaud évoque davantage une souveraine un peu paternaliste que l’aristocrate capricieuse suggérée par sa présence scénique. La mezzo-soprano apparaît un peu en retrait dans le premier acte, peut-être handicapée par le port d’un chapeau : son rondeau « Ah, j’aime les militaires » peine à passer la fosse. Elle retrouve ses moyens par la suite, en particulier sur l’air plus lyrique « Dites-lui » du deuxième acte, et récolte, logiquement, les applaudissements les plus nourris au tomber du rideau.