Réjouissante soirée d’opérettes avec Le Palazzetto Bru Zane à Marigny
Pour ressusciter ces petits ouvrages, le Palazzetto fait appel à diverses équipes artistiques, notamment à Pierre-André Weitz qui signe ici, comme pour Mam’zelle Nitouche d’Hervé qui sera représentée au Théâtre Marigny du 7 au 15 juin, la mise en scène, les décors et costumes. Pour entourer On demande une femme de chambre et Chanteuse par amour, il a conçu un délicieux décor unique, une loge d’artiste à l’ancienne, toute encombrée de valises et de volumineuses malles. Un paravent permet à l’artiste de se changer et de se transformer d’un personnage à l’autre en toute rapidité, Pierre-André Weitz ne lui laissant aucun répit. Il est vrai que la folie douce semble constamment guetter chaque héroïne : une raison du succès considérable rencontré par ce genre de pièces, mais notamment des -alors- fameuses Cloches de Corneville (1877) qui avaient totalement occulté les autres ouvrages de Robert Planquette (1848-1903).
Les deux redécouvertes de ce soir s'unissent justement par leur mouvement effréné, aussi bien dans la musique, sur le plateau qu'entre les classes sociales. Écrite à l’intention d’Anna Judic, comédienne de caractère et fine chanteuse, égérie de Jacques Offenbach, On demande une femme de chambre conte les aventures de Claudine, domestique débarquant tout droit de sa campagne natale et embauchée par une baronne parisienne. En l’absence de cette dernière, Claudine explore les secrets de sa maîtresse, une fausse baronne mais vraie cocotte à l’agenda chargé de rendez-vous masculins. Elle se prend à rêver d'une autre destinée avant de se raviser et repartir vers sa province et ses amours de jeunesse. Le texte prend presque le pas sur la musique pourtant fort agréable et lyrique de Planquette.
Dans Chanteuse par amour de Paul Henrion (1817-1901) -compositeur fort prolifique et auteur de milliers de chansons et romances se rattachant à tous les genres-, la scène se passe à Étretat, station alors fréquentée par toute la bonne société de l’époque et où Suzanne, chanteuse de café-concert, délaissée par son amant a loué à une consœur partie en tournée un appartement. Mais la propriétaire annonce son retour et Suzanne est vite débordée. Au lieu de faire ses bagages, elle se plonge dans sa malle à partitions à la recherche de ses futurs succès. Moment choisi par Paul Henrion pour démontrer son savoir-faire avec une succession de chansons de circonstance comme La Fraise (non le fruit bien entendu, mais celle qui s’installe comme une tache de naissance dans le dos), le requin et la torpille qui content leurs amours impossibles jusqu’à l’explosion finale, et surtout le cordon mécanique, système alors en vogue permettant de communiquer d’un appartement à l’autre. Comme par hasard, celui du dessus est justement occupé par l’amant de Suzanne ! Cette partition, créée elle aussi par Anna Judic, est réellement charmante, pleine de vivacité et fort expressive.
Ingrid Perruche incarne successivement les deux héroïnes avec un abattage communicatif, déployant une verve comique, abordant le comique grivois, ici sous-tendu avec franchise et parvenant à rendre sympathiques ces deux personnages qui flirtent avec un certain surréalisme. Après une belle carrière dédiée en partie au répertoire baroque et à la musique française -elle fut une Mélisande appréciée-, Ingrid Perruche se dirige désormais vers un autre répertoire avec une voix toujours solide qui évolue vers le mezzo-soprano comme sa Dame Marthe dans le Faust d’origine de Charles Gounod présenté par le Palazzetto Bru Zane au Théâtre des Champs-Elysées en juin 2018. Au piano, David Violi se fait son complice avisé, musicien mais aussi savoureux comédien lui donnant la réplique avec les accents les plus variés. Par ces temps maussades, une heure un quart de musique plaisante dénuée de tout artifice et ponctuée de rires n’est certes pas à dédaigner.
Prochain rendez-vous au Studio Marigny puis sur Ôlyrix les 21 et 23 juin avec Faust et Marguerite de Frédéric Barbier et Sauvons la caisse -tout un programme !– de Charles Lecocq.