L’Auberge du Cheval Blanc gaie et frontalière à l’Opéra de Reims
Dès l’ouverture du grand rideau rouge de l’Opéra de Reims, le public est déjà projeté dans la salle de réception de l’auberge tyrolienne du Cheval Blanc. Le blanc et vert des grands carrelages aux murs décorés de fleurs rouges permettent d'admirer au fond de la scène, le lac enlacé par les montagnes. C’est dans ce décor que défilent un bus, une voiture et un grand bateau avec les touristes qui animent la scène de vivacité et de gaieté. Paul-Émile Fourny a justement choisi ce rythme pour mettre en scène cette opérette des années 1930 (la première représentation française de l’ouvrage allemand d'origine remonte au 1er octobre 1932, au Théâtre Mogador de Paris). La production est un immense et constant tourbillon de vivacité chorégraphié par Jean-Charles Donnay, les personnages s'y passant le relais dans l’histoire romantique et un peu comique.
Piccolo, interprété par le très convaincant comédien Massimo Riggi, conduit et commente les intrigues amoureuses qui se produisent à l’intérieur de l’auberge. La superbe et austère aubergiste Josefa a la voix de Sabine Conzen qui montre une grande incarnation dans la récitation autant que dans le chant. Sa voix de soprano, au médium solide, gère par les inflexions vocales riches et ductiles, l’expressivité du texte grâce à sa ligne vocale bien articulée. Son amoureux caché et maître d’hôtel, Leopold Brandmeyer chante ses sentiments contrastés avec la voix brillante et souple en même temps de Michel Vaissière qui montre aussi une grande capacité de récitation et d'interaction avec les autres personnages. Le jeune ténor lyrique André Gass donne sa voix fraîche et ronde, à l’avocat Erich Siedler qui tombe amoureux de la fille de l’industriel belge Léon Tonneklinker, interprété par le comédien Laurent Montel drôlatique dans son personnage. Gass a une voix bien placée rythmiquement et un son riche dans toute sa gamme qui lui obtient le cœur d'Ottilie, la fille sensuelle de Tonneklinker. Ce rôle est interprété par Léonie Renaud, capable de rentrer pleinement dans son personnage romantique et érotique, bien audible dans la récitation mais moins (notamment pour les duos avec Gass) dans le chant pourtant lyrique. Son jeu d'actrice, pendant l’interprétation musicale est moins brillant et elle cherche souvent l'avant scène, probablement pour rendre plus audible sa voix légère.
Julien Belle est le beau Célestin qui essaye, avec sa voix chaude de baryton lyrique, de conquérir le jeune cœur de Lisa, la fille du Maestro Desgrieux, dont le comédien Jean-Marc Guerrero donne une interprétation entre la bizarrerie et la maestria. Le personnage de Célestin a une couleur menue dans les aigus, mais une grande musicalité. Lisa prend vie grâce à la danseuse Lisa Lanteri, qui en plus de montrer sa présence scénique, mélange avec bonne attention et intentions son chant entre la voix de poitrine et la voix de tête. Enfin Philippe Brunella campe un empereur sage, mais qui aime séduire les belles femmes, d'une ligne enjôleuse.
La partition transporte de l'opérette française à Broadway avec des sonorités jazzy rehaussées par ses chorégraphies nettes et très dynamiques. Cette soirée est un hommage au chef d'orchestre David T. Heusel (disparu le 30 septembre 2017) qui aurait dû conduire l'orchestre. La production a travaillé avec Heusel une empreinte américaine (mais d'après la version d'origine). L'Orchestre de l’Opéra de Reims dirigé avec éclectisme par le maestro Cyril Englebert continue ainsi le projet, transportant l'auditoire dans cette dimension d’un autre temps mais aussi hors du temps et des genres : à la frontière fine et subtile entre opéra-comique et comédie-musicale.