Roberto Devereux en tournée au Royaume
Malgré le titre de l’œuvre, le rôle central dans Roberto Devereux est certainement celui d'Elisabetta, prima donna et présence constante, explorant ses possibilités vocales mais aussi psychologiques profondes. Joyce El-Khoury saisit cette occasion d’apporter sa touche canado-libanaise à un livret italien basé sur l'histoire de la Renaissance anglaise, et bien sûr la musique de Donizetti, par une performance puissante, un bel canto aussi admiré qu’équilibré par un jeu d'actrice très senti. Le cantabile est très legato, extrayant chaque nuance des lignes vocales de Donizetti, mais elle y juxtapose en outre une déclamation engagée du récitatif, s’imposant sur le plateau et ses interlocutrices par presque deux octaves de coloratures. L’estocade bel-cantiste est portée à la fin de l’opéra, dépeignant le spectacle douloureux d'une monarque s'écroulant devant les yeux du public (les admirateurs d’El-Khoury présents en nombre à Southampton sont ainsi rejoints avec enthousiasme par le reste du public, visiblement marqué).
Le rôle-titre est lui aussi exigeant, notamment pour le jeu du caractère secoué par les forces du désir et du hasard, d’autant plus concentré que Roberto n’offre qu'un solo au ténor juste avant le finale de l'aria d'Elisabetta. Barry Banks n’en brille pas moins, différemment : incarnant la résignation et le regret dans une ligne vocale contenue, un récit réfléchi, un legato soutenu. Le mouvement rapide ne dissipe nullement sa sobre intensité.
Sara, Duchesse de Nottingham interprétée par Justina Gringytè s’offre en victime de la tragédie -victime des avances de Devereux avant le début de l'opéra, des loyautés divisées et finalement objet des reproches d'Elisabetta. D’abord objet de la pitié du chœur, l’interprète sait s’éloigner physiquement et vocalement de la cour tout en demeurant présente et projetée, intensément virtuose et très détachée vocalement parmi ce chœur féminin composant une épaisse ambiance sombre (d’autant que leurs homologues masculins apportent un équilibre de puissance sensible à la condamnation à mort de Roberto).
Les univers de la cour d'Elisabetta et du parlement sont reliés par les émissaires Robert Cecil (chanté par Robyn Lyn Evans) et Walter Raleigh (Wyn Pencarreg) avec Philip Smith en confident de Nottingham et George Newton-Fitzgerald pour page, autant d’artistes qui donnent eux aussi aux rôles et aux lignes une touche de couleur justement opaque. Parmi les parlementaires, le Duc de Nottingham de Biagio Pizzuti ressort pleinement riche et bien ciblé, assez agile pour la reprise ornée et mélodieuse dans le chant.
La production d'Alessandro Talevi, vue au Teatro Real de Madrid ainsi qu'au WNO depuis 2013 dresse la Reine debout sur un trône à pattes d'araignée. La soirée est animée par la richesse et l'endurance du jeu orchestral de la phalange du WNO sous la férule de Carlo Rizzi : la citation du "God Save the Queen" fonctionne toujours sur le public depuis la création au Teatro San Carlo de Naples jusqu'à cette représentation au Mayflower Theatre de Southampton, d'autant plus lorsqu'elle est le bijou serti sur une couronne de couleurs instrumentales, élégantes et dramatiques.