George Benjamin : « Je vise la perfection sans l’atteindre »
Votre premier opéra, Into the Little Hill, a récemment été donné au Théâtre de l’Athénée. Il s’agissait de sa première reprise en France depuis sa création en 2006 à l’Amphithéâtre de Bastille. Que retenez-vous de cette création ?
Cette création a été un moment capital pour moi. C’était le climax d’un portrait que le Festival d’Automne me consacrait. C’est L’Ensemble Modern qui l’a créé : ce sont de grands amis à moi, basés à Francfort. Les deux chanteuses, Anu Komsi et Hilary Summers, étaient remarquables, tout comme le chef Franck Ollu, un autre ami. J’avais longtemps rêvé d’écrire une œuvre lyrique : j’y étais enfin arrivé. Il s’agit d’une œuvre courte, d’environ 40 minutes. La réaction du public était très enthousiaste. Ce soir là, je suis devenu un compositeur d’opéra et ça a changé ma vie. Le lendemain, Bernard Foccroulle, qui venait d’être nommé à Aix-en-Provence et qui me demandait d’écrire un opéra depuis 20 ans, m’a écrit : Martin Crimp et moi nous sommes lancés dans le travail sur Written on Skin.
La création de Written on Skin a eu lieu six ans plus tard, en 2012. Le délai aura été identique avant la création de Lessons in Love and Violence, en 2018. Est-ce votre rythme ?
Il semblerait ! Il faut dire que les répétitions durent deux mois, les chanteurs doivent avoir la partition six mois plus tôt, j’ai besoin de 2, 3 à 5 ans pour composer, Martin Crimp a besoin d’un an pour achever son texte. Et puis, cela nous prend bien un an pour trouver notre sujet. Ce n’est donc pas seulement de ma faute si le tout prend cinq à six ans.
Devons-nous du coup attendre votre prochain opéra pour 2024 ?
Nous verrons, mais nous sommes en tout cas déjà en train de réfléchir au thème : j’ai envie d’en refaire un autre. Entre temps, j’écris d’autres pièces.
Vous disiez que la recherche du thème vous prenait un an. Un an après la création à Londres de Lessons in Love, avez-vous déjà trouvé votre prochain sujet d’opéra ?
Non, pas encore. Nous cherchons encore.
Lorsque vous réécoutez aujourd’hui Into the Little Hill douze ans après sa création, que ressentez-vous ?
Je l’ai dirigée de nouveau pour une tournée en Allemagne le mois dernier. La musique est donc dans mon oreille, mais aussi dans ma main. Ce qui est fascinant avec cette reprise à l’Athénée, est de voir une nouvelle production de l’œuvre. Il s’agit de la dixième production de cette œuvre. J’ai trouvé la mise en scène très intéressante et intelligente [lire le compte-rendu d’Ôlyrix]. Très fidèle à l’œuvre, mais très imaginative. C’est Alphonse Cemin qui dirigeait. Il a été mon répétiteur de très haut niveau pour la création de Written on Skin.
Après être passé par Londres, Amsterdam et Hambourg, Lessons in Love a eu droit à sa création française (retrouvez notre compte-rendu lyonnais) : avez-vous constaté une évolution dans l’interprétation de l’œuvre au fil de ces reprises ?
J’ai dirigé les créations à Londres et Amsterdam. J’ai appris peu à peu à diriger ma propre œuvre : comment la faire respirer, quels tempi adopter pour que les chanteurs aient l’espace nécessaire tout en maintenant la tension. À Hambourg, je l’ai entendue pour la première fois dirigée par un autre chef, Kent Nagano. J’ai beaucoup aimé sa direction. Entendre mes œuvres si bien dirigées peut influencer ma propre direction. J’ai écrit l’œuvre pour Stéphane Degout qui a créé l’œuvre. C’est un magnifique chanteur, grand musicien et remarquable être humain. Hélas, il ne pouvait pas chanter à Hambourg. C’est donc un jeune baryton américain, Evan Hughes, qui a une voix splendide et qui a repris le rôle. C’est très intéressant d’entendre mes notes chantées par un autre exécutant.
Dans l’interview qu’il nous a accordée (à lire ici), Stéphane Degout indiquait qu’il avait fait une séance de travail avec vous, au cours de laquelle vous aviez pris les mesures de sa voix : fonctionnez-vous ainsi avec tous les chanteurs ?
Avant d’écrire pour l’opéra, j’écrivais pour une voix idéale, puis on cherchait le chanteur capable de l’interpréter. J’ai changé : pour tous les opéras, je reçois les chanteurs chez moi avec Martin Crimp et le metteur en scène. Je connais ainsi chaque voix et chaque artiste, ses capacités, ses talents et ses faiblesses s’il me les dit. Je peux ainsi écrire avec toutes ces données en tête. Mais une fois l’œuvre achevée et créée, je suis très intéressé d’entendre d’autres interprétations. C’est fascinant. Heureusement, la partition achevée est à la fois figée et très précise, tout en laissant beaucoup de liberté au chanteur et au chef. C’est du théâtre en plus de la musique : chaque chanteur a un rapport personnel à son rôle.
Au XIXème siècle, les compositeurs retouchaient souvent leur œuvre : est-ce une envie que vous avez parfois ?
Dans mon travail, je suis très exigeant avec moi-même. Je vise la perfection, sans l’atteindre du tout malheureusement. C’est pourtant mon ambition. Pendant les premières répétitions, je change des dynamiques, quelques détails de notation : beaucoup de petites choses que mon éditeur intègre à la partition. Puis, la partition est imprimée (ce qui est le cas pour Lessons in Love and Violence depuis le mois de mars) : j’aime beaucoup voir mon œuvre imprimée, avec une belle couverture. Malgré tout, à chaque fois que j’entends l’œuvre, j’ai des regrets sur de nouveaux détails. Je me dis : « La dynamique des trompettes ou du troisième basson à la fin de la scène 3 n'est pas assez claire et il aurait fallu les augmenter ou mieux expliquer ce que je voulais ! ». Mais la plupart des choses sont figées à cette étape : je ne change pas la substance de l’œuvre. Si ce n’est pas assez bien, c’est trop tard !
Quel a été votre rôle durant les répétitions lyonnaises, l’œuvre étant figée ?
J’y ai participé cinq jours. Il y a toujours des choses à dire, notamment sur les balances au sein de l’orchestre et entre la fosse et la scène, qui sont très délicates. Il y a aussi des questions de tempo : c’est tellement important d’un point de vue théâtral que la tension ne retombe pas du fait d’un excès de lenteur, mais qu’en même temps, les notes aient le temps de sonner et d’avoir le poids théâtral qui est le leur dans la structure globale de l’œuvre. C’est une foule de détails sur lesquels j’essaie d’être utile. L’Opéra de Lyon m’a invité ainsi que Martin Crimp pour cette création française de l’œuvre dont ils sont co-commanditaires : ça aurait été très mal élevé de ne pas venir ! J’en avais d’ailleurs très envie. C’est Alexandre Bloch qui dirige. C’est un jeune chef très doué. Il est seulement le second chef à diriger cette œuvre en dehors de moi. Il apportera une vision différente de celle de Kent Nagano.
Justement, vous avez collaboré avec Kent Nagano qui est un chef extrêmement expérimenté : était-il à l’écoute de vos demandes ?
L’ambiance entre nous était très bonne : nous nous connaissons depuis 35 ans. Il a souvent dirigé mes œuvres, notamment les créations allemande et autrichienne de Written on Skin. Il a été très ouvert, gentil et tolérant face à mes nombreuses demandes. Il a fait tout ce que je voulais pour cette création. Ce fut un très beau moment pour moi, d’autant que son orchestre est vraiment excellent, avec une grande chaleur et une grande profondeur des cordes.
Y a-t-il d’autres productions de l’œuvre déjà planifiées ?
Oui, l’une sera annoncée bientôt, et au moins deux suivront encore après.
Written on Skin a déjà connu de nombreuses mises en scène différentes : comment l’expliquez-vous ?
Il y a déjà eu huit productions différentes. Je ne peux pas dire pourquoi cela a fonctionné. J’en suis très surpris (autant que ravi) moi-même : lors des saluts, le soir de la création à Aix-en-Provence, je ne pouvais pas croire que l’œuvre était si bien reçue. Cela doit beaucoup au livret de Martin Crimp. Quant à moi, j’ai essayé de faire mieux que mon mieux. Je ne sais pas si c’est réussi, mais je ne pouvais pas faire mieux. Je me concentre tellement sur mon travail !
Vous arrive-t-il, lorsque vous composez, de penser que les notes que vous choisissez seront peut-être jouées dans plusieurs décennies, voire plusieurs siècles ?
Non, je me concentre sur la note et sa place dans l’œuvre, et par rapport aux notes qui l’entourent et à celles qui reviennent plus loin. Je me focalise sur mon objectif de choisir la meilleure note que je peux choisir pour ce passage. Je pense à l’œuvre et à ce que je veux entendre. Tout le reste, je n’en suis pas responsable.
Dans son interview, Stéphane Degout indiquait que vous ne souhaitiez pas parler d’une œuvre avant que la composition n’en soit achevée. Pourquoi ?
C’est dû à ma personnalité. Déjà, enfant, je ne voulais pas parler de mes projets. Je considère mon travail créatif comme quelque chose de très intime, tout à fait secret. C’est le monde particulier de mes rêves, de mes pensées, de mes désirs créatifs. J’imagine l’œuvre entière avec tous ses détails. Je suis dans l’œuvre du petit matin jusque très tard pendant des centaines de jours. Je vis à l’intérieur de cette œuvre : cet espace m’appartient et je ne veux pas le partager. Je n’en parle à personne : j’ai peur de partager ce que je fais. Je ne partage qu’avec Martin Crimp et, dans une moindre mesure, avec le metteur en scène. C’est Olivier Messiaen qui m’avait conseillé un jour de ne jamais parler de mes œuvres avant qu’elles ne soient terminées. Je suivais son conseil avant même qu’il ne me l’ait formulé. La relation d’un artiste avec sa créativité n’est pas si simple ! Si on parle d’une idée, elle risque parfois de s’envoler avant d’avoir été couchée sur le papier. Il faut être patient avec sa propre créativité.
Les trois opéras que vous avez composés font moins d’une heure trente et sont joués sans entracte : est-ce le livret qui vous amène à ce format ou une décision de votre part ?
Ce n’est pas une décision. Pour le premier opéra, je n’avais que huit mois, ce qui est très peu pour moi : je n’avais pas le temps d’écrire une œuvre de deux heures. Il fallait commencer petit. Ensuite, les œuvres pour lesquelles j’ai une grande affection, comme Katia Kabanova, Wozzeck ou Salomé et Elektra, ont une dimension proche d’un film, qui me convient et qui correspond bien au souffle de ma musique. Ce fut le format des deux autres opéras, mais je ne sais pas ce qu’il en sera des prochains. Je suis aujourd’hui déjà très étonné d’avoir écrit deux œuvres d’une heure trente chacune ! Je ne l’aurais pas imaginé il y a dix ans.
Vos trois opéras ont été créés ou commandés par des maisons françaises : d’où vient cette profonde relation que vous avez avec la France ?
Il y a d’abord mon affection et mon admiration pour la musique française. À huit ans, j’adorais Beethoven, mais ensuite, je me suis rapidement attaché à Berlioz, puis Debussy et Ravel. Ensuite, j’ai été élève d’Olivier Messiaen dès l’âge de 16 ans. La culture et l’enseignement français m’ont énormément apporté. Du fait du temps que j’ai passé ici, j’y ai beaucoup d’amitiés profondes.
Pourriez-vous composer sur un livret en français ?
Je n’y avais jamais pensé ! C’est une idée intéressante. C’est un langage qui m’est proche. La musicalité est très différente : l’anglais est une langue très accentuée, au contraire du français, qui offre plus de liberté dans le rythme. Malgré tout, même si je parle bien le français, je pense en anglais : il est plus naturel pour Martin Crimp et moi d’écrire dans notre langue maternelle. Ceci étant, Stravinsky a composé des œuvres en russe, français, latin et anglais. Cela a dû être intéressant !
Que retenez-vous de l’enseignement d’Olivier Messiaen ?
Beaucoup et, volontairement, très peu : en tant qu’élève, on a le droit, le besoin et l’obligation d’échapper à nos maîtres. Avec sa grande sagesse et son exceptionnelle gentillesse, Olivier Messiaen comprenait cela très bien : un bon professeur donne à ses élèves la liberté de prendre leur propre chemin. Mes réflexions, les techniques que j’ai développées pendant des années autour de l’harmonie, des rythmes et des timbres doivent beaucoup à sa manière d’enseigner et de voir les choses. J’ai en revanche développé des formes qui sont très éloignées de sa pensée : la psychologie de mes œuvres scénique, leur tension, leur caractère, leur couleur sont très différents. Il m’a appris que la musique se sert d’un langage. C’est simple à dire, mais extrêmement complexe : je n’aurais pas pensé comme cela sans Messiaen. Autre chose : il a grandement amélioré mon oreille : il m’a entraîné à tout entendre. Je lui dois beaucoup et je suis très triste qu’il n’ait pas entendu Written on Skin.
À votre tour, vous enseignez aujourd’hui : que souhaitez-vous transmettre ?
Plus que transmettre, je souhaite aider mes élèves à devenir eux-mêmes. Je les aide dans des questions techniques qui sont presque objectives et je les encourage à travailler dans un environnement musical de haut niveau, qu’ils puissent entendre ce qu’ils font. Quand ils sont bloqués ou mécontents de leurs travaux, j’essaie de les aider, de les ouvrir et de les encourager. Je fais également des analyses : j’ai donné cette année huit conférences sur le discours musical de rupture, dont j’ai étudié l’évolution sur les 100 dernières années. Cela me donne des idées. Sans enseigner, je ne me serais pas autant développé en tant que compositeur. En effet, je ne répète jamais deux fois le même sujet musical, ce qui me force à toujours repenser les choses et à continuer à apprendre. Beaucoup de mes élèves sont aujourd’hui joués ou édités : si je les ai aidés, ce qui n’est pas impossible, j’en serais très fier. Cela me donne beaucoup de plaisir de voir un élève venir chaque semaine avec de nouvelles notes sur sa partition.
Comment percevez-vous l’évolution de la composition au fil du temps, et comment voyez-vous l’avenir ?
Pour l’avenir, je ne peux rien dire : je ne sais pas même comment je composerai mon prochain ouvrage. Je sais juste qu’il faudra qu’il y ait de la surprise, des développements inattendus dans la manière de composer. Il y a eu un changement d’esthétique depuis la guerre. Le sérialisme [technique de composition fondée sur l'utilisation de séries d'éléments musicaux, ndlr] a pris une grande importance, mais a presque disparu aujourd’hui. Il y a eu la musique spectrale [technique de composition calquée sur les propriétés acoustiques des timbres -la patte sonore- des instruments, ndlr] qui a elle-même évolué. Finalement, cela ne m’intéresse pas vraiment. J’aime la musique : je me concentre sur ce que je veux, ce qui a de la valeur à mes yeux, ce que je suis capable de faire. Toute autre considération est moins importante.
Travaillez-vous les livrets avec Martin Crimp, où les recevez-vous comme des produits finis ?
Nous travaillons beaucoup ensemble avant qu’il écrive. Nous cherchons et choisissons ensemble le sujet. Ensuite, nous parlons de toutes sortes de choses formelles, psychologiques, philosophiques, pratiques, avant même qu’il ne commence à écrire. Puis il m’envoie quelques pages sur lesquels je donne mon avis. Avant même de choisir le sujet, nous avons des désirs, qui restent secrets, entre nous. Nous parlons de ce que nous voulons, de ce que nous ne voulons pas, de ce que nous ne voulons pas reproduire dans nos œuvres suivantes. Ensuite, il faut rester spontané tout en ayant ces discussions dans un coin de la tête. En revanche, lorsque le texte arrive, je le change très peu. Je sais qu’il a beaucoup travaillé chaque mot, chaque virgule. J’ai la chance qu’il pense beaucoup à moi lorsqu’il écrit : il cherche des mots, des situations, des confrontations qui font naître la musique. De temps en temps, je lui demande d’enlever quelques lignes car la musique demande plus de vitesse, ou à l’inverse, si la musique a besoin de plus de temps, je peux lui demander de nouvelles paroles. Mais cela reste rare.
Démarrez-vous par un motif musical que vous appliquez au texte ou le texte inspire-t-il votre musique ?
Lorsque je démarre, je n’ai rien. J’entretiens un vide pour agir et répondre à son texte et au drame avec la plus grande authenticité. Je commence à composer quelques mois après avoir reçu le texte : j’ai besoin de réfléchir, d’y penser. La composition, c’est du travail : les gens pensent parfois que la musique vient tout de suite, ça n’est pas le cas.
De fait, quelle est votre matière première lorsque vous composez une musique instrumentale, sans texte ?
Il faut trouver la musique, les notes, les rythmes, les timbres, la forme. Même lorsque j’écris une œuvre abstraite, je pense au théâtre et à un sujet qui est la matière première de la musique, dont la forme découle.
Investissez-vous beaucoup d’énergie à la recherche de nouvelles sonorités ?
Oui. Je recherche par exemple de nouvelles sonorités dans des instruments comme la viole de gambe, la flûte basse, le cor de basset, le cymbalum, le banjo, ainsi que des percussions étranges. Je recherche également de nouveaux sons avec des instruments plus courants, comme l’alto : chercher est très important pour le créateur. Trouver une sonorité nouvelle, qu’on n’aurait pas imaginée, est l’un des plus grands bonheurs du créateur : on a l’impression de découvrir quelque chose.
Pour cette recherche de nouvelles sonorités, travaillez-vous avec des musiciens ou faites-vous cette recherche dans votre tête ?
Beaucoup se passe dans ma tête. Mais si je ne connais pas l’instrument, je demande à un instrumentiste de venir chez moi, comme je le fais avec les chanteurs, et je prends des notes. Cela ne me sert pas forcément tout de suite : en 2002, j’ai invité un joueur d’harmonica de verre. J’ai pris 20 pages de notes. Je ne m’en suis finalement servi qu’en 2011 dans Written on Skin.
Vous cherchez également la nouveauté dans la forme : comment ?
J’ai écrit Shadowlines pour piano : ce sont des canons très étranges écrits d’une manière que personne n’a utilisée dans le passé. Si m’aviez demandé 15 ans plus tôt d’écrire une œuvre avec des canons, je vous aurais répondu que je ne m’intéressais pas du tout à cela. J’espère que dans 15 ans je découvrirai encore de nouvelles formes. S’il n’y a pas de fraîcheur et l’illusion de la découverte, l’expression est plate.
Y a-t-il des choses que vous avez déjà faites mais qui vous donnent tant de satisfaction que vous souhaitez continuer de les explorer ?
Oui, j’ai découvert des techniques très abstraites qui me sont spécifiques et correspondent à ma manière de travailler, qui se retrouvent dans les trois opéras. Elles ne se voient pas et ne s’entendent pas, mais sans elles je n’aurais pas été capable d’écrire ces œuvres. C’est si abstrait que cela peut être repris d’une œuvre à l’autre, ce qui m’évite de repartir de rien à chaque fois. Je l’utilise quand une texture devient polyphonique et complexe, par exemple dans les trois dernières minutes d’Into the Little Hill, dans le début de l’acte II de Written on Skin, ou dans la deuxième moitié de la troisième scène de Lessons in Love and Violence : ce sont des moments où la perspective de la musique et de l’action sur scène n’est pas singulière. Il y a un polytempo, une polyharmonie, une polymélodie et un polythéâtre. Composer ces passages nécessite une architecture cachée : ces découvertes dans le rythme et l’harmonie m’ont servi d’outil, chaque fois de manière très différente. Sans leur support, je n’aurais pas été capable d’écrire ces pages.