Brundibár, opéra créé dans les camps, pour petits et grands, à la Philharmonie de Paris
Étonnamment, à quelques semaines d’intervalle, deux œuvres qui furent jouées dans le camp de Terezín ont été programmées en région parisienne : après La Chauve-Souris mise en scène par Célie Pauthe à Bobigny, Brundibár, l’opéra pour enfants de Hans Krása sur un livret d'Adolf Hoffmeister, est proposé à la Philharmonie de Paris, dans une adaptation de Chantal Galiana, mise en scène par Olivier Letellier et Guillaume Servely. Là où Célie Pauthe inscrivait son spectacle dans l’effrayante réalité du camp de Terezín, créant ainsi un contraste déroutant avec le caractère enjoué de l’opérette, Olivier Letellier et Guillaume Servely prennent un parti pris résolument inverse. Rendant à l’œuvre son statut de conte ayant, par définition, une portée universelle, ils ont souhaité, après avoir « interrogé les jeunes sur les minorités aujourd’hui persécutées, sur les combats à mener, les voix à faire entendre », éviter la reconstitution historique et mettre en lumière le caractère hélas trop actuel du message véhiculé par l’œuvre.
Ainsi Brundibár n’apparaît pas comme un clone d’Hitler mais comme un tyranneau, harangueur de foules, dépourvu de sentiments et mû uniquement par le clinquant et l’argent. Peut-être, par rapport au livret, ce personnage de méchant n’est-il pas assez effrayant : tout sourire, chanteur, jongleur, joueur de trombone, il apparaît presque trop séduisant là où il devrait être dangereusement séduisant. Mais la mise en scène est par ailleurs d’une grande clarté, occupant au mieux l’immense espace de la Philharmonie : les enfants sont tantôt massés sur les gradins du fond de la salle, tantôt présents sur scène, aux étages parmi les spectateurs. Ils quittent la salle en traversant le parterre tout en chantant la belle et mélancolique chanson tzigane hongroise (« Le shavore ») par laquelle s’était également ouvert le spectacle.
Quelques accessoires (une table, des fauteuils à roulettes, un immense drap blanc) suffisent à donner corps à l’action, et certaines scènes marquent les esprits, tel le moment où les enfants, tous vêtus de jaune, quittent leurs habits après avoir vaincu Brundibár et font apparaître des vêtements aux coloris riches et variés. L’union, la fraternité, l’enrichissement par les différences font la force et la grandeur de l’homme : le message est clair, fort, et particulièrement bienvenu en ces temps troubles où la "bête immonde" donne de dangereux signes de régénérescence.
#JeunePublic Aujourdhui à 14h30 et 18h, lopéra de Hans #Krása, Brundibár, avec le Chœur denfants de lOrchestre de Paris ! @ch_OrchParis @philharmonie pic.twitter.com/6QfIEgPEVV
— Orchestre de Paris (@OrchestreParis) 8 mai 2019
Musicalement, Igor Bouin, outre les talents de jongleur et d’instrumentiste, fait entendre une voix de baryton très claire et bien placée –toutes les voix étant cependant sonorisées. Il offre comme il se doit une interprétation de Brundibár rigide dans un chant heurté et syllabique, et gratifie en outre le public d’une version endiablée du Veau d’or de Gounod pour son entrée en scène ! L’orchestre de Terezín, constitué en fonction des instruments et des musiciens disponibles, comportait une flûte, un piccolo, une clarinette, une trompette, une guitare, une caisse claire, une grosse caisse, un piano, quatre violons, un violoncelle, une contrebasse et un accordéon. Il a, à l’occasion de ce concert, été reconstitué à l’identique. Précis, chaleureux et coloré, il rend, sous la baguette attentive et dynamique de Lionel Sow, justice à une partition d’inspiration tantôt populaire, tantôt jazzy, tantôt savante. De toute évidence, le Chœur d’enfants de l’Orchestre de Paris a quant à lui bénéficié d’une excellente préparation (par les chefs de chœur associés Edwin Baudo, Marie Deremble-Wauquiez, Marie Joubinaux et Béatrice Warcollier) : maîtrisant la partition, les jeunes chanteurs se montrent d’une très grande aisance vocale et scénique, et jamais leurs déplacements dans cette très grande salle ne mettent en péril la qualité de leur chant.
À l’issue du spectacle, les enfants –comme l’ensemble des artistes– sont noyés sous les applaudissements d’un public enthousiaste !