Le Songe d'une nuit de mai à l'Opéra de Montpellier
Le jeune metteur en scène américain Ted Huffman, préfigure sa période de résidence à Montpellier, avant l’officialisation de cette collaboration qui s’annonce à partir de la saison prochaine. Pour ses débuts dans la maison, il choisit un opus qui pourrait paraître audacieux pour l’institution occitane (en coproduction avec l’Opéra allemand de Berlin) mais pas pour Huffman déjà habitué au répertoire moderne (voir sa lyricographie) : Le Songe d’une nuit d’été de Britten.
La forêt magique dans laquelle se situe la majeur partie de l’œuvre est représentée par un plateau légèrement penché et presque dénué de décors, sur un fond noir omniprésent, celui du nocturne et de la comédie. Ce minimalisme accentué (en un instant, le personnage de Bottom se retrouve même tout seul sur la scène vide) ne fait que fortifier l’ambiguïté intentionnelle de l’approche d'Huffman qui souhaite confondre les mondes du réel et du surnaturel. Les grandes échelles qui mènent vers la lune ou aux nuages peuvent symboliser le pont entre ces deux univers qui se rencontrent dans la nuit de Saint-Jean. En outre, l’esprit de l’esthétique à la Bob Wilson subsiste aussi à travers les figures blanchies des chanteurs incarnant les êtres féeriques. Ces derniers portent des coiffures/perruques peintes et costumes masculins (conçus par Annemarie Woods) de l’époque victorienne, habits distingués qui offrent un contraste évident avec les artisans athéniens préparant la pièce de théâtre. La scène de la mise en abyme conquiert l'admiration du public, par ses effets comiques réunissant de grandes marionnettes et des maillots de bain avec des artisans aux visages cagoulés.
La musique qui abonde en artifices, moments grotesques et sublimes, est interprétée par l’Orchestre National de Montpellier Occitanie, qui fête cette année ses 40 ans. La richesse des couleurs sonores remplit pleinement l’acoustique généreuse de l'Opéra Comédie, la section des instruments à vents ayant une projection éminemment remarquée. Le chef Tito Muñoz coordonne le plateau et la fosse, toujours en maître de cette partition qui demande beaucoup de délicatesse et de concentration. Un bon nombre d’onomatopées et d’autres gestes comiques dans l’orchestre (confiés souvent aux percussions) qui suivent les personnages d’acteurs/artisans, ne trouvent toutefois pas leur écho dans le jeu scénique des chanteurs.
Les chanteurs font pour la plupart leurs débuts dans leur rôle. Après le succès du Postillon de Lonjumeau à l’Opéra Comique le mois dernier, Florie Valiquette s’empare cette fois de Tytania et renoue sa collaboration avec Ted Huffman (après Svadba d’Ana Sokolović au Festival d’Aix). Dès sa première apparition, elle déploie les aigus avec beaucoup d’assurance et de force, dominant son collègue James Hall (en Oberon) dans les duos. Sa voix veloutée et ardente de soprano colorature s’exprime avec brio dans les vocalises, sa technique lui permettant de parcourir les divers registres avec facilité. Par ailleurs, elle fait preuve d’une très belle prononciation de l’anglais et incarne la douceur face à la rudesse et grossièreté de Bottom.
Bien que protagoniste clé, le contre-ténor James Hall peine à se distinguer vocalement. Il arbore un timbre tendre et clair qui rayonne dans le registre élevé, mais qui manque parfois de poids et de force, surtout dans les graves. Sa partie, qui consiste fréquemment en déclamations sur une ou quelques notes avoisinantes, reste quelque peu au second plan (tout comme son jeu d’acteur).
Dominic Barberi remplace au pied levé Luiz-Ottavio Faria et prend le rôle de Nick Bottom. Sa grande et ronde voix de basse surpasse la masse orchestrale. Métamorphosé en âne, il « braille » en faisant des sauts de notes aiguës (hi-han) qu’il entonne avec justesse, tout comme les passages chantés en fausset. Dans la pièce de théâtre, il est un Pyrame grotesque mais aussi très expressif et affectif dans la scène de sa mort. Nicholas Crawley en Quince assure son articulation très nette et sa précision rythmique, tandis que Paul Curievici est un Flute disposant d’une voix de ténor puissante mais qui souvent, pour renforcer la dérision et le rire, chante faux comme son collègue dans le rôle de Snug (Daniel Grice). L’ensemble se complète avec Colin Judson en Snout et Nicholas Merryweather en Starveling pour former un groupe vocalement harmonieux qui joue habilement « la farce tragique » provoquant des rires aux éclats dans le public.
Un autre ensemble vocal équilibré est formé par le quatuor des amants. Les personnages de commedia dell’arte relèvent une écriture intense en drame. La tension est quasiment omniprésente entre les deux couples : Helena de Marie-Adeline Henry par son ample voix de poitrine en colère contre le volumineux baryton Demetrius (Matthew Durkan) et le ténor étoffé de Lysander (Thomas Atkins) en uniformes de soldats, soudainement épris d’elle. La malheureuse Hermia (Roxana Constantinescu) dévoile un mezzo timbré et émaillé d'un vibrato, parfois excessif mais toujours en place rythmiquement et en bonne entente avec l’orchestre. Hyppolyta de Polly Leech est dotée d’un timbre boisé et se sent troublée par l’ivrognerie de son mari Theseus (Richard Wiegold), le Duc buveur aux couleurs très graves et sombres qui peine à se tenir sur ses pieds. Les enfants de l’Opéra Junior montrent un travail sérieux sur une partition exigeante et livrent un chant onirique malgré une prononciation du texte pas toujours compréhensible : ils sont très chaleureusement salués par le public, comme tous les artistes.