Warlikowski répond sur l'originalité de son travail et l'élaboration de Lady Macbeth
Relire le premier article publié sur ces productions - Lady Macbeth par Warlikowski : du déjà-vu ?
Notre compte-rendu du spectacle de Warlikowski à Bastille le mois dernier
La réponse de Krzysztof Warlikowski :
« Oui, incontestablement, dans ma production de Lady Macbeth de Mzensk créée récemment à l’Opéra national de Paris, j’ai placé l’action des trois premiers actes de l’opéra de Chostakovitch dans un abattoir. Mais je tiens à affirmer à nouveau, et de la manière la plus claire et définitive, que jusqu’à l’apparition de cette incroyable attaque de la part d’un collègue, nous n’avions jamais entendu parler, mes collaborateurs artistiques et moi, du spectacle de Lombardero.
Notre
décision de situer l’action de Lady
Macbeth
dans un abattoir est le résultat de séances de travail que nous
avons eues au cours de notre préparation, l’idée de l’abattoir
s’imposant de façon unanime parmi nous après que d’autres
options ont été envisagées. Et si cette idée nous est venue,
c’est que l’abattoir appartient à mon langage. J’ai employé
pour la première fois une carcasse de porc dans ma mise en scène du
Conte
d’hiver de
Shakespeare en 1997 à Poznan. Par la suite, dans mes productions
d’African
Tales (le
passage inspiré du Marchand
de Venise
de Shakespeare), de Don Giovanni
de
Mozart ou encore récemment de Pelléas et Mélisande de
Debussy (avec la projection d’un extrait du film Pilate
et les autres de
Wajda), j’ai fait allusion à la boucherie, j’ai utilisé des
carcasses animales. Comme d’autres éléments obsessionnels de mon
univers poétique, l’abattoir et la viande sont apparus souvent
dans mes spectacles au cours des deux dernières décennies.
Que dire ensuite sur mon utilisation dans la production de Bastille d’éclairages et de tables qui seraient semblables à ceux qu’il a utilisés ? Tout cela fait partie de mon esthétique, mes spectacles en témoignent. Pour en rester au monde hispanique, qu’il regarde la documentation sur mes productions de Poppea e Nerone de Monteverdi/Boesmans et d’Alceste de Gluck au Teatro Real.
Nous avons appris il y a deux jours, par
l’une de ses anciennes collaboratrices, que le metteur en scène
David Pountney, dans sa production de Lady Macbeth de Mzensk
en 1987 à l’English National Opera à Londres, un spectacle qui a
été repris par la suite, avait placé lui aussi l’action de la
première partie de cet opéra dans un abattoir !*
Devrais-je adopter la même attitude que Lombardero et laisser entendre qu’il connaissait cette production de Pountney et qu’il en a repris une idée ? Est-ce que je lui apprends par ce texte qu’un autre metteur en scène avait lui aussi, avant lui, eu la même intuition ? Vraiment ?
Jamais je n’aurais imaginé être accusé un jour de plagiat et qui plus est par un autre metteur en scène. Et jamais je n’accuserai quiconque de plagiat quand bien même on a pu me rapporter que d’autres artistes ont pu reprendre au théâtre ou à l’opéra quelques éléments de mon travail.
Cette situation me convainc avant tout que des œuvres aussi fortes que celle de Chostakovitch peuvent générer des intuitions qui appartiennent au moins autant à l’œuvre même qu’aux metteurs en scène qui l’interprètent.
Nous sommes trois metteurs en scène à avoir imaginé qu’un abattoir pouvait amplifier la violence des rapports humains qu’évoque le compositeur. Peut-être que d’autres ont eu cette même idée et peut-être l’ont-ils aussi exploitée. Manifestement cette idée n’était pas mauvaise. Mais réduire un spectacle, sa dramaturgie, son esthétique, son enjeu, à cette seule idée est de toute manière ridicule. Pour ceux que cette polémique intéresse, je les invite à comparer les captations de nos deux spectacles et non quelques photos. Que cette controverse prenne fin au plus vite et remettons-nous au travail. »
*À noter : si nous n'avons pas encore eu de réponses à nos demandes afin d'obtenir des images de la production de David Pountney, dont Krzysztof Warlikowski explique avoir eu récemment connaissance, notre confrère David Blewitt dans l'hebdomadaire britannique The Stage se remémorait en effet en 2004 ladite production comme "l'inoubliable mise en scène dans un abattoir, de Chostakovitch par David Pountney à l'English National Opera" (David Pountney's unforgettable abattoir staging for ENO of Shostakovich). Barry Millington écrivait pour sa part dans le London Evening Standard en septembre 2015 : "Lady Macbeth de Mzensk de Chostakovitch par David Pountney et Stefanos Laziridis [décorateur, ndlr], avec son inoubliable abattoir et ses carcasses sanglantes, des soldats de l'Armée rouge, des numéros dans le style de Busby Berkeley [chorégraphe, ndlr], capturaient brillamment la fusion de pathos et de parodie dans cet opéra." (Shostakovich's Lady Macbeth of Mtsensk by David Pountney and Stefanos Laziridis, with its unforgettable abattoir and bloody carcasses, Red Army guards and Busby Berkeley-style production numbers, brilliantly captured the opera's fusion of pathos and parody.)