Passion pleine de compassion pour clôturer le Festival de Pâques de Deauville
C’est depuis la
tribune d’où se déroulent en temps ordinaire les ventes aux enchères
des poulains, transformée en lieu de prêche pour l’occasion, que
se place l’Evangéliste surplombant ainsi le chœur et l’orchestre
disposés dans le ring de vente tout comme le public, réparti dans
l’amphithéâtre tout autour. C’est également de cet endroit que
prendra place le charismatique curé de Deauville (le Père
Jean-Parfait Cakpo) pour déclamer un sermon à la fin de la première partie.
Valentin Tournet a choisi la deuxième version de cette œuvre, celle de 1725, rarement donnée, à laquelle par souci d’authenticité, il intercale un sermon (d’après le livre d’Isaïe, chapitre 53) comme cela se pratiquait à l’époque de Bach (à la différence que ce sermon durait plus d’une heure et non quelques minutes).
Le chœur d’entrée laisse entendre une tonalité différente de la première version habituellement entendue et insiste plus sur les errances et les péchés. Valentin Tournet propose une lecture de l’œuvre pleine d’humanité, alternant des moments de recueillement (notamment dans les chorals à l’esprit luthérien), d’émotions profondes et de méditation avec des passages plus théâtralisés et dramatiques, frôlant souvent le style concertant italien. Il souhaite ainsi donner une vision universelle à l’œuvre où chaque être humain puisse trouver son compte, croyant ou non.
Chanteurs et musiciens mettent tous le pied à l’étrier pour répondre aux exigences du chef. À commencer par l’Évangéliste, Stuart Jackson. De son perchoir, sa stature imposante domine et il prend ainsi une certaine distance par rapport au drame qui se noue. Il développe un bel équilibre entre chant et récit. Sa voix souple et aisée propose une palette de nuances et d’émotions, lui permettant d’alterner douceur, stupeur, émotion, fatalité. Jésus est interprété par le baryton-basse Thomas Stimmel : il est le seul soliste à ne pas être dans le chœur et a être placé dans l’orchestre, à gauche. Il incarne un Christ plutôt résigné. Pour cela, son timbre aux graves profonds se teinte d’une grande douceur.
Les autres solistes se fondent avec le chœur et s’avancent tour à tour pour chanter leurs airs. Dans son premier air, la soprano Marie Perbost dialogue gracieusement avec les flûtes. Souriante, le timbre est clair, la voix légère finement vibrée, les aigus faciles tout comme les vocalises, la prononciation de la langue allemande n’est cependant pas toujours percutante à l’exception de quelques mots comme le Tot (mort) du deuxième air interprété tout en retenue mais où il manque cependant quelques nuances et contrastes. Il revient au contre-ténor alto Alex Potter d’interpréter l’arioso Es ist vollbracht/Tout est accompli, méditation sombre et douloureuse dans l’Esprit des Tombeaux français, accompagné par Valentin Tournet à la viole de gambe (son instrument). Sa voix timbrée et colorée au phrasé soutenu par un souffle maîtrisé se marie avec le son plaintif de la viole. Les aigus sonores contrastent avec un medium grave moins affirmé.
Au ténor Thomas Hobbs échoient les airs ajoutés dans cette version de 1725. Sa voix lumineuse, sa musicalité, son legato, son aisance sur l’ensemble de la tessiture permettent de différencier les affects recherchés dans ses différentes interventions. La basse Stephan MacLeod incarne un Pilate plutôt autoritaire. Il passe de l’injonction au désespoir, alterne lui aussi les affects avec facilité dans les airs qui lui sont confiés. Sa voix est affirmée dans le grave. Il dégage une grande énergie vocale à travers ses vocalises au phrasé diversifié.
Le chœur incarnant à la fois les Turbae (chœurs de foule) et les chorals destinés aux fidèles, est équilibré et homogène, rigoureux et particulièrement émouvant dans les chorals ou prières. Investi, précis dans sa direction, Valentin Tournet connaît la partition par cœur, la bouche mimant toutes les paroles. L’orchestre La Chapelle Harmonique interprète avec cohésion et éloquence l’ensemble de la partition, avec une mention spéciale à la violoncelliste (légèrement surélevée) qui assure un continuo d’une grande diversité effectuant ainsi le lien entre toutes les pièces.
Après un long moment de silence, le public tout retourné, fait une ovation à Tournet (qui assurément, vu son jeune âge, a encore beaucoup de chevaux sous le capot) et à l’ensemble de la production !