Étonnante Passion selon Saint Mathieu pour fêter Pâques à Aix-en-Provence
C’est devenu une tradition saisonnière : en ce Vendredi Saint, le Festival de Pâques fondé à Aix en 2013 choisit, comme il y a deux ans, de donner la Passion selon Saint Matthieu (l’an dernier, la plus courte Passion selon Saint Jean par Raphaël Pichon était venue prendre le relais). I y a deux ans la direction musicale avait échu à Philippe Herreweghe (notre compte-rendu). L’Ensemble vocal et instrumental de Lausanne est cette fois dirigé par Michel Corboz. Malgré sa discographie qui inclut Monteverdi, les Passions et la Messe en si de Bach ou Charpentier, le chef suisse ne s’est jamais inscrit dans le mouvement baroque et son interprétation de la Passion inclut par exemple des solos de violon fortement vibrés qui tiennent presque de l’anachronisme. Paradoxalement, la direction gestuelle minimaliste ne laisse transparaître que peu d’aspérités ou de virtuosité, et entraîne quelques décalages sur certaines syncopes (contre-temps) ou au sein même du continuo. L’architecture sonore et son adéquation soyeuse avec le Grand Théâtre de Provence sont par contre travaillées avec soin et l’équilibre des pupitres est respecté : celui des bois notamment se montre très convaincant.
Les deux chœurs sont au centre de la partition de Bach, que ce soit pendant les chorals ou pour incarner la foule des bourreaux du Christ. L’un puis l’autre se répondent. Ils déploient, lorsqu'ils s’unissent, une belle ampleur sonore. Ainsi la gravité imposante qui émane du chœur d’introduction saisit-elle le spectateur.
L’incarnation de l’Évangéliste par Hans Jörg Mammel tente de rompre avec la monotonie récitative dans laquelle le rôle peut facilement s’enfermer : le ténor allemand n’hésite pas à murmurer, changer de ton, à jouer sur les nuances et les staccati (piqués), parfois plus que de raison. Sa diction impeccable de germanophone épouse avec soin les contours du texte biblique. Hélas, trop d’aigus sont tirés et le passage systématique en voix de tête qui s’ensuit vient rompre cette assurance et amoindrit le sentiment de ferveur sacrée que devraient inspirer les paroles d’Évangile.
Le baryton anglais Peter Harvey incarne les personnages secondaires du récit : Pierre, Judas, Caïphe, Pilate. Sa manifeste sensibilité baroque et son timbre sombre apportent un aplomb et une profondeur supplémentaires à ses interventions. Placé à gauche du chef, le baryton André Baleiro incarne le Christ. Malgré des graves un peu forcés, il maîtrise les nuances et sa diction s’avère sans faille. Sa projection assurée recouvre harmonieusement le halo de cordes qui entoure les interventions du personnage. Lorsque celles-ci l’abandonnent lors de la crucifixion, son timbre retranscrit avec justesse les souffrances du Christ.
Dans les rôles non théâtraux de la Passion se limitant aux arias et aux ariosos, le ténor Marco Alves dos Santos se montre très expressif au prix de choix vocaux surprenants (sauts de registre, nombreux staccati et aigus un peu en force). L’interprétation de Marianne Beate Kielland se montre au diapason de la direction musicale, très italienne et expressive, la mezzo-soprano déploie un vibrato important, même si elle l’atténue sur l’émouvant air Erbarme dich (Aie pitié). Enfin la voix céleste et souple de la soprano Ana Quintans sait exprimer tantôt le deuil ou la dévotion de la foi. Elle déploie son legato et apporte par la pureté de son timbre une touche d’inspiration aux strophes de Piccander : n’est-ce pas la finalité de cette œuvre sacrée ?