Madame Butterfly sème les fleurs d’avril à Massy
Sur scène, un décor épuré et plaisant accueille le public massicois : de grands panneaux coulissants japonais s’ouvrent sur un pont et une toile représentant la nature. Les tons neutres sont légèrement relevés de bleu, pour une atmosphère apaisante. Cet effet de profondeur est utilisé pour les entrées et sorties de scène, mais devient graphique lorsque la suite de Butterfly s’y dresse en faisant tourner leurs ombrelles. Juste dessous, l’Orchestre de l’Opéra de Massy est suspendu à la baguette de Dominique Rouits, dans une homogénéité mélodique et rythmique, pilier duquel se décalent par moment certains interprètes sur scène. Le chef parvient néanmoins à les remettre en mesure subtilement.
Les costumes sont également traditionnels : les japonais sont vêtus de kimonos et portent l’obi en ceinture, tandis que Pinkerton, Kate et le Sharpless portent des vêtements occidentaux du début du 20e siècle. Si le costume militaire de Pinkerton est blanc au premier acte, il devient noir au final, illustrant l’évolution de ses intentions auprès de Cio-Cio San dont la coiffe de fleurs blanches laisse place aux fleurs rouges. La metteuse en scène Roberta Mattelli utilise aussi la lumière de manière symbolique. Le premier acte est baigné d’une lumière douce qui devient éclatante au premier air de Cio-Cio San : Butterfly illumine toute la salle de sa présence (la lumière se reflète dans son kimono doré), réduite à des bougies lors du chœur bouche fermée de transition, enfin rouge sang dans le finale.
Illuminant la scène de son talent, enflammant incontestablement le public, la soprano coréenne Yeonjoo Park offre un timbre cristallin au léger vibrato, des graves justes et projetés, sans jamais forcer, même lors des magnifiques envolées fortissimo de Puccini. Les nuances appuient son grand jeu d’actrice, utilisant toute la gamme jusqu’aux tendres piani. L’assistance est prise aux tripes par la douleur qu’elle exprime dans des graves en poitrine et de brefs soupirs, reflétés par la distorsion de ses traits. Le célébrissime Un bel di, vedremo est suivi d’un silence riche d’intensité, comme éclatant d’une bulle vibrante.
L’Américain Pinkerton est interprété par Eduardo Sandoval, un ténor au timbre métallique qui peine à atteindre les sommets de sa partenaire. Si ses aigus sont bien projetés et s’arrondissent, ses graves et mediums viennent du fond de la gorge et son visage crispé freine quelque peu son jeu d’acteur. Leurs instruments se marient tout de même avec charme lors du duo d’amour. Le consul Sharpless de Giulio Boschetti, bien plus charismatique, se pavane au premier acte, paraît agacé au deuxième et désolé au troisième. Son baryton rond et doux, bien projeté, sort aisément des tutti. Mezzo au vibrato large et au timbre généreux, la Chinoise Jiujie Jin (qui interprète la servante Suzuki) joue de son flux d’air pour nuancer les émotions contraintes de son personnage.
Le Goro de Georgi Devedjiev est lumineux et marque bien les consonnes, apportant une dimension comique à l’ambiance sérieuse. Nikolay Bachev arrive d’abord sur scène pour officier lors du mariage, puis enfile le costume de Yamadori, prétendant de Butterfly. Son baryton peine à couvrir l’orchestre et à atteindre les rangs les plus éloignés de la scène, contrairement à Carlos London, l’oncle Bonze maudissant sa nièce pour avoir renié les croyances japonaises. Sa riche basse fait trembler le public, avec rondeur mais sans force. Stanimira Manolova interprète l’une des suivantes de Cio-Cio San, puis l’épouse américaine de Pinkerton, avec beaucoup de pudeur et peu de projection.
Le public salue la performance après les grands arias et à la fin de la représentation par de tonitruants applaudissements et des bravi enthousiastes, s’extasiant à l’entracte et à la sortie de la qualité de la prestation proposée.