Macbeth de Verdi ressuscité et immaculé à Limoges
Les tableaux expressionnistes (du peintre Ronan Barrot, né en 1973) annoncent le début de chaque acte, luisant de sang et de vagues visages inquiétants, dans un flou de mouvement et de frayeur. Ils établissent ainsi le style visuel de l’opéra : un tourbillon fortement métaphorique d’ombres, de lumières, reflets et vidéos. Les sorcières sont des femmes-Janus : nonne devant, sorcière derrière, pour une image assez littérale de la schizophrénie du couple Macbeth. Ces costumes (signés Daniel Ogier) évoquent des consciences scindées en deux par l’horreur de leurs propres actes, ou bien sûr des intentions néfastes cachées derrière un visage faussement tranquille. L’envers, l'en-dessous, le dos des choses seront d’ailleurs rendus visibles par la multiplication de glaces : de vastes piliers couverts de miroirs pivotent pour transformer les scènes. Aidés de brume vaporeuse, ils composent le surnaturel par les proverbiaux « écran de fumée et jeu de miroirs ».
André Heyboer dans le rôle de Macbeth dessine un roi imposant et presque sympathique. Après des débuts un peu timides, la voix presque diffuse et étrangement voilée gagne en assurance au cours de la soirée, devenant à la fois solide et legato avec une séduisante virilité de timbre. Après la superbe scène du banquet, où il affronte le fantôme de Banco, il est à son meilleur dans la deuxième rencontre avec les sorcières, laissant l’horreur et l’émoi colorer son baryton. L'air du quatrième et dernier acte "Pietà, rispetto, amore", le trouve cependant un peu fatigué, manquant de férocité dans les grands crescendi.
La Lady Macbeth d’Alex Penda (ou Alexandrina Pendatchanska), soprano de technique spinto (appuyée) multiplie les nuances. Particulièrement dans la scène somnambule, elle peint de saisissantes couleurs perturbées, tremblantes de peur, ou blanches, voire volontairement un peu désaccordées/ Physiquement, elle signale la folie à l’aide d’une main tremblante. D’une très solide voix de poitrine elle dramatise des phrases d'envergure, par exemple dans son deuxième air, qu’elle referme même encore crescendo (respectant en outre les instructions du compositeur de chanter « con voce pianissima e un po oscillante » - d'une voix très douce et un peu trémulante). Ailleurs en revanche (comme au premier air) elle ancre les aigus avec de petits coups de glotte par en bas, et s'ils sont riches et dramatiques, jamais acides, elle sacrifie un peu de legato et d’agilité : dans la cabalette (partie rapide) de cet air, comme dans sa chanson à boire, mais aussi dans les duos avec Macbeth, elle n’arrive pas tout à fait à suivre les tempi très allants du chef d’orchestre, Robert Tuohy, surtout dans ses passages piqués.
L’italien Dario Russo dans le rôle de Banco enchante la salle avec le chaleureux timbre de sa basse fondante et souple. Marco Cammarota est un surprenant Macduff à l’or bruni de son ténor, très expressif dans son air, excitant même dans le duo avec Malcom (le ténor vif et solaire Kévin Amiel) et le chœur d’hommes. Charlotte Despaux, Dame d’honneur de Lady Macbeth, révèle dans ses quelques répliques solos, une voix lisse, étincelante d’harmoniques, et d’une grande musicalité. Fabien Leriche fait un médecin sympathique, d’une basse ronde et généreuse.
Les enfants solistes du programme Operakids, jouant des apparitions dans la deuxième rencontre avec les sorcières, excellent, chantant chacun avec des voix assurées, claires et justes. Les Chœurs de la maison chantent avec une justesse et une précision remarquées, les sorcières en particulier soignent chaque parole avec délectation. Le chœur des Écossais, "O Patria Oppressa" émeut, bien qu'il manque d’effectif. Sous la baguette de Robert Tuohy, l’Orchestre de Limoges étincelle vers des sommets aux tempi ultra rapides.